One
Final Graven Kiss
Cette histoire reste encore aujourd'hui ma préférée
pour de multiples raisons. La première d'entre elles est que j'ai
toujours voulu écrire une aventure sur le thème du vampire. J'avais
déjà étudié l'idée il y a quelques années de cela et étais
arrivé à une histoire trop absconse pour permettre une quelconque
publication. Puis, en puisant dans mes diverses expériences, je
couchais un premier jet de ce qui est aujourd'hui ce troisième
conte. Mais je n'en restai pas là. Le thème de ce conte me plaisait
tant que je décidais d'en faire une nouvelle. Intitulée « Laura »,
celle-ci reprit les codes contenus dans One final Graven Kiss, avec
pour contrainte de ne pas utiliser le mot « Vampire »
durant toute l'histoire. Car la contrainte pousse à la création.
-
J’avais pour nom d’homme, Ethan
Hope. Je vécus peu longuement ma vie d’humain avant que l'on me
métamorphose en charognard à robe noire. Avant cela, j’étais le
meneur d’un groupe de voleurs professionnels. Attention, je ne
parle pas de simples petits casseurs ou de crapules œuvrant dans
l’unique but de semer le désordre. Nous évoluions exclusivement
dans le monde bourgeois et nos prises étaient simples : œuvres
d’art et bijoux, et parfois même de l'argent, sans arme, sans
violence, toujours dans la plus grande discrétion. À titre
d’exemple, il est déjà arrivé que nous visitions une demeure
pour y dérober une série de vases canopes Égyptiens ( revendus à
prix d’or à un collectionneur étranger ) et que le propriétaire
ne se rende compte du délit qu’une semaine plus tard.
N’œuvrant pas seul dans cette
affaire, je m’en vais vous présenter mes trois complices.
Je commencerai par ce garçon expert
en crochetage, mon propre frère, Geoffrey.
Nous eûmes notre première expérience
alors que nous n’étions encore que collégiens.
N'importe quel gamin ( et vous-même
probablement ) a déjà entendu parler d’une maison hantée près
de son quartier, son école, ou à deux pas de chez lui… Du moins
c’était le cas pour nous, car à un peu moins de cent mètres de
notre établissement se trouvait une demeure dont la réputation
maléfique n’était plus à faire. Un pari stupide entre une
poignée de camarades et nous voilà, mon frère et moi, devant le
parvis de la maison. Je me souviens parfaitement de chaque détail du
paysage chaotique qui s’offrait à nos yeux ( et qui en réalité,
me fascinait plus qu’il ne m’effrayait ). La hauteur de l’herbe
ainsi que le chiendent montraient que le bout de terrain entourant
l’édifice n’avait pas été entretenu depuis fort longtemps.
Tout était sale, des escaliers qui menaient à la porte d’entrée,
en passant par les sculptures ( trop abîmées pour deviner quel
animal était représenté ), ainsi que les murs extérieurs. Sans
oublier ses nombreux volets, clos, dont la peinture avait
grossièrement disparue, laissant sur les bords de ceux-ci de longues
traces de rouille qui avaient dégouliné sur les rebords des
fenêtres. Ce dernier aspect me donna l’image d’une maison qui
par l’abandon et la solitude, s’était mise à pleurer des larmes
de sang ? Peut-être cherchait-elle à susciter la curiosité en
se présentant ainsi…
Je me souviens de la première phrase
de mon frère également :
- On ne se sépare pas, ok ? Parce que
si y’a des chiens ou des trucs pas nets, on sera toujours plus
forts ensemble que séparés !
Mais cette crainte se dissipa bien
vite et laissa place à une sensation qui nous était jusqu’alors
inconnue : l’excitation de pénétrer un lieu qui ne nous
appartenait pas.
Je passerai volontairement les détails
de notre entrée ( peu professionnelle en réalité ) ainsi que de
notre visite, car bien sur il n’y avait rien de hanté. Juste une
maison abandonnée de tous, où les objets se laissaient mourir de
vieillesse dans leur prison de poussière. Nous prîmes cela dit
chacun un objet que longtemps nous gardâmes comme un trésor. Un
bougeoir en bronze pour mon frère sur lequel était gravée une
croix avec une multitude de petits détails que nos jeunes yeux
n’arrivaient pas à décrypter, et un vieux livre de poésie aux
pages ternies pour ma part. Une fois dehors, nous fûmes pris d’un
fou rire lorsque nous avons remarqué que nos « amis »
avaient déserté les lieux…
Il s’était passé quelque chose
dans nos esprits ce jour là. Jamais nous ne nous étions sentis si
proches de la peur et du danger. Et il nous fallait recommencer cette
expérience, retrouver ces émotions… Si bien que nous nous mîmes
à la recherche de toutes les « maisons hantées » des
environs, et plus loin encore. Nous en voulions plus, toujours plus.
Dès lors, il nous fallait sentir des sensations différentes, que
l’adrénaline monte plus encore dans nos cerveaux et, petit à
petit, nous abandonnions les maisons vides pour des demeures plus
vivantes. Mon frère se spécialisa donc dans l'ouverture de porte...
Vient le tour à présent de Sylphide.
Et là, je ne saurais décrire son talent avec tous les honneurs
qu’il mérite. Car il fallait vraiment être présent lorsque
celle-ci œuvrait pour s’apercevoir qu’il y avait quelque chose
de magique en elle. Féline dans ses déplacements, serpentine
lorsqu’il s’agissait de se glisser dans d’étroits interstices,
elle savait également se faire ombre et se fondre dans le décors,
invisible aux yeux des gardiens qui passaient à moins de deux mètres
d’elle.
C’était une véritable artiste.
Nous l’avions d’ailleurs rencontrée lors d’un concert, les
Cradle of Filth. Elle et sa troupe faisaient partie d’une sorte de
cirque des horreurs et étaient programmés en première partie du
groupe qui devait se produire ce soir là.
Un Monsieur Loyal aux allures de
croque mort présentait toutes sortes de créatures difformes et
innommables : une femme sans tête, une fratrie de quatre… enfin
une sorte de leipreachan ( le croque mort expliquant dans un français
pitoyable qu’ils étaient le fruit de l’accouplement malsain
entre un farfadet et une humaine ), et autres perversions humanoïdes
sortis tout droit de mauvais contes pour adultes… Son Freak Show
comme il l'appelait.
Derrière toute cette mascarade
trônait une grande cage de fer, couverte de faux lierre montant, où
dansait une sublime jeune fille vêtue d’une combinaison moulante
de latex noir. Alors que tous les mâles de la salle bavaient devant
ses formes généreuses, je restais en émoi devant la souplesse de
ses mouvements.
Nous nous devions d’exploiter ses
talents autrement qu’enfermer comme un animal dans cette vulgaire
prison. Le spectacle faisait son effet car c’est dans l’euphorie
générale que nous laissions les spectateurs, et partîmes à la
recherche d’une porte dérobée qui nous mènerait jusqu’aux
coulisses. Oui, nous aurions pu chercher la facilité en soudoyant
les gorilles qui gardaient le devant de la scène pour qu’ils nous
laissent un accès direct aux loges. Mais n’inspirant aucune
sympathie, Nous décidâmes d'agir autrement.
Lorsque nous eûmes pénétré les
coulisses, il ne fut pas si simple de retrouver la jeune danseuse.
Les bousculades étaient légions dans un couloir aussi étroit, et
le stress des organisateurs était palpable. L’un d’eux hurlait
après un technicien qui n’était pas à son poste, d’autres
types arboraient fièrement autour de leur cou un laisser passer pour
rencontrer les artistes, une bière à la main. Absorbés par ce
contexte d’euphorie, nous avions failli percuter la fratrie de
petits êtres qui sortaient de l’une des loges. L’un d’eux se
retourna et émit une sorte de couinement de marcassin à mon égard,
laissant apparaître une rangée de dents acérées.
- J’ai bien cru qu’il allait te
bouffer celui-là !
Le regard que nous échangeâmes alors
Geoffrey et moi, était un mélange certain entre la peur et la
surprise. Toutes ces créatures étaient donc réelles ?
- Non, pas d’inquiétude, lui
avais-je dis après que mes yeux se soient posés dans la pièce d’à
côté où je vis deux hommes démonter le mannequin de la femme sans
tête…
Mais quelle ne fut pas mon angoisse
lorsque l’une de ces monstruosités à deux visages cracha un
glaire verdâtre à mes pieds…
- Ethan, par ici !
Lorsque je relevai les yeux ( faisant
tout pour éviter ceux du monstre ), je vis mon frère trois portes
plus loin me faire de grands signes, un sourire benêt graver sur son
visage.
Arrivés tant bien que mal à
destination, nous entrâmes dans une petite loge joliment décorée
de meubles anciens typés indien, le rouge et le jaune prédominaient
partout dans la pièce. Au fond de celle-ci était disposé un canapé
de velours ocre sur lequel la belle jeune fille en tenue civile était
allongée, les yeux clos.
Je me raclai la gorge, un peu confus
de la déranger.
- Le spectacle n’est pas encore
fini, vous débarrasserez ma loge juste avant de partir, dit-elle
tout en se retournant contre son lit de fortune, pensant sûrement
avoir à faire à quelques autres techniciens.
Elle avait un fort accent dont je ne
saurais deviner la provenance mais sa façon de rouler les « R »
donnait un peu plus de charme à son personnage.
- Pardonnez nous, nous… Je n’eus
pas le temps de commencer ma phrase qu’elle sursauta et s’assit
d’une brusque façon.
- Qui êtes-vous ? nous
demanda-t-elle, surprise par notre présence.
- Je me présente, Ethan Hope…
dis-je en lui tendant la main.
Mon frère tira alors sur mon t-shirt
avec force.
- Et voici mon frère, Geoffrey nous…
- Qu’est-ce que tu fous Sylphide !
Je te rappelle qu’on se casse dans moins d’une heure !
Le croque-mort déboula furieusement,
nous bousculant avec une telle force que nous fûmes littéralement
projetés sur les côtés. Ce maudit personnage tenait un sceau
duquel s’échappait une odeur pestilentielle.
- T’as intérêt à pas traîner
sinon j’te… Les yeux de la jeune fille semblaient soudainement
s’embuer.
- Vous n’avez rien à foutre ici
vous !
Cet espèce de grand cadavre sur patte
s’adressait à nous avec une certaine vulgarité. D’étranges
petits insectes marrons courraient le long de sa chevelure blanche,
si bien que je me plus à imaginer un court moment qu’une véritable
faune avait élu domicile sous son chapeau haut de forme, qu’il ne
devait ôter que trop peu.
Un petit bruit nous fit tous trois nous
retourner et l’expression de son visage changea du tout au tout.
- Hey les quadruplés, je vous
cherchais ! Vous avez bien bossé ce soir… Il plongea la main dans
le sceau et en sortit quatre sardines recouvertes par une épaisse
glu transparente qu’il jeta en direction des monstres, lesquels se
disputèrent le butin.
Quelques gouttes de cette infecte
substance putride éclaboussa le pantalon de mon frère qui manqua
vomir ses tripes devant les restes du repas des farfadets.
Le croque mort lâcha un rire sec
avant de se retourner vers moi et reprendre un air plus sérieux.
- Il est formellement interdit
d’adresser la parole à l’une de mes propriétés sans y avoir
été autorisé…
Sa propriété ? Voilà qui expliquait
les larmes de la jeune fille.
( Bien que Sylphide n’en ait jamais
parlé depuis, je me suis longtemps demandé comment avait-elle pu
vivre parmi ces horreurs et quel genre de punition devait-elle subir
chaque fois que le croque-mort était mécontent ).
Je sentais qu’il fallait être franc
avec un tel personnage, aussi je décidais de ne pas mentir.
- Je viens proposer à cette jeune
fille de travailler pour moi…
Je vis alors les yeux de Geoffrey se
révulser avant qu’il ne sorte de la salle, se tenant à tout ce
qu’il pouvait agripper, puis alla soulager ses hauts le cœur un
peu plus loin.
Au même moment, l’homme qui était
debout devant moi se tenait les côtes tant il riait. Sylphide quant
à elle restait assise et essuyait comme elle pouvait l’abondance
de larmes sur son visage. D’un mouvement dont j’ignorais qu’il
en eut les capacités, monsieur Loyal claqua la porte avant de me
plaquer au sol, me tenant fermement par le col.
- Écoute-moi bien p’tit con, j’n’ai
pas l’impression que tu aies idée de qui se tient en face de toi…
J’ai parcouru le monde entier à la recherche de gens dont tout le
monde se fout, de gens que l’on bannit des villages parce que la
nature leur a fait pousser un troisième œil, ou privé d’oreilles.
Des phénomènes de foire qui avec moi trouvent un sens à leur vie.
Et toi… toi petit merdeux, tu voudrais m’enlever ma seule poupée
normale ? Mon seul joyaux ?
Manquant cruellement d’oxygène sous
sa poigne de fer, je tentai pourtant d’articuler.
- Elle… elle n’est… pas comme
vous…
- Et c’est justement ça qui est
dégueulasse l’ami… Elle ne sait rien faire d’autre que
gesticuler et tu n’as même pas idée de combien ça m’a coûté
pour l’acquérir. Heureusement, les familles pauvres ne font pas
les fines bouches pour vendre un moutard contre quelques billets…
fini-t-il par me dire, parachutant une flopée de postillons sur mon
visage.
À chaque tentative de dégagement, il
resserrait son étreinte sur ma gorge.
- Je vais l’emmener avec moi ou…
L’homme sortit de derrière son
pantalon une courte dague qu’il plaqua contre mon visage, juste
sous l’œil gauche.
- Ou je pourrais te sectionner la
gueule, faire en sorte de briser les membres du type qui t’accompagne
et vous larguer dans un ravin sur la route de notre prochaine
destination, qu’en dis-tu ? demanda-t-il en grinçant les dents,
tout en appuyant sa lame qui commençait à creuser ma peau.
La peur me saisit le cœur, et dans un
geste que je pensais être le dernier de mon existence, j’empoignai
la main armée de mon assaillant.
Il posa alors le regard sur ma main,
plus précisément sur la bague que je portais à l’annulaire
gauche.
- Cette bague… c’est la bague
Atlante ! Où l’as-tu trouvée ?
L’intérêt qu’il porta à mon
anneaux de pierre ne manqua pas de soulever une forte curiosité en
moi.
- Pourquoi, elle vous intéresse ?
demandais-je dans l’espoir qu’il me lâche enfin.
- REPONDS ! hurla-t-il.
- Je suis voleur de métier. Je l’ai
subtilisée à un riche financier qui se prend pour un égyptologue…
Il tripotait l’anneau de ses doigts
crochus et grattait celui-ci par endroit de ses ongles sales et
épais.
- Du Grès d’Assouan… je ressens
les ondes… je ressens le pouvoir… chuchotait-il.
Il me releva d’une seule main avec
cette force toujours aussi prodigieuse et se mit à crier :
- C’est d’accord ! L’anneau
contre la fille ! Excellent deal, n’est-ce pas ?
Sylphide releva le visage et je
surpris un petit sourire. Dans quelques secondes, elle serait libre…
- Entendu, je vous donne l’anneau et
je prends la jeune fille ! dis-je en essayant d’extraire la bague
qui ne voulait se séparer de mon doigt.
- Attends je vais t’aider…
Je n’eus pas le temps de comprendre
ce qu’il se passait. Dans un éclaire de douleur, ma main se
couvrit rapidement d’un liquide rouge, chaud et épais. La dague du
croque-mort venait de me sectionner l’annulaire et je m’écroulai
au sol, foudroyé par le mal…
Les seules choses dont je me souvienne
du reste de la soirée furent la présence de Sylphide, accroupie
devant mon corps étendu, et les derniers mots de cet homme :
- Jamais tu n’auras connaissance des
pouvoirs de cet anneau car jamais nous nous reverrons !
Puis, le souvenir de deux personnes me
portant en dehors du bâtiment, suivi d’un trou noir…
Ce vieux fou avait raison, jamais nous
nous revîmes et, depuis ce jour et ce aussi loin que me portent mes
souvenirs, Sylphide resta parmi nous, libre d’utiliser son savoir
faire au sein de notre petite entreprise…
De mon équipe, il ne me reste alors
plus qu’une personne à vous présenter et je ne m’attarderai
nullement sur son sujet. Même si je n’ai jamais aimé ce garçon,
je suis contraint d’avouer que son talent nous a sauvé la vie deux
ou trois fois. En effet, J.R ( diminutif d’un prénom peu assumé )
restera comme le pilote le plus doué qu’il m’eut été donné de
voir …
Alors, que nous pourchassions la plus
grosse Opale connue à ce jour ( et Dieu sait qu’obtenir ce joyau
aurait fait grand bruit parmi les collectionneurs peu scrupuleux du
monde ), un incident plus qu’inattendu gâcha notre travail. Trop
peu renseignés sur le manoir dans lequel nous nous étions
introduits, nous tombâmes nez à nez sur le service de sécurité,
pensant nous trouver en réalité dans la salle même où était
exposée notre précieuse convoitise. Et il ne leur fallut que
quelques secondes pour ameuter les résidents de leurs coups de feu à
répétition. Échappant in extremis aux balles, nous nous
retrouvâmes à courir à travers un large jardin, blessés par le
verre d’une vitre qu’il nous fallut briser afin de sortir de ce
piège. Derrière, une meute de dobermans nous filait le train dans
l’espoir de déchirer nos mollets de leurs crocs.
Comme à chaque excursion nocturne,
nous échafaudions un plan prévoyant, pour les cas comme celui-ci,
de se séparer les uns des autres. Mais cette nuit il ce fut
différent.
Dans sa course effrénée, Geoffrey se
mit à haleter :
- Suivez-moi ! Ce soir il y a du
changement !
L’esprit dérangé par ce revirement
de situation, je n’eus pas le temps de prononcer un mot que nous
dûmes plonger par dessus une haie de bonne hauteur. Dévalant une
pente de terre comme des pantins désarticulés, mon visage alla se
planter contre une épaisse carcasse froide.
- Hey ! Fais un peu gaffe au bébé,
tu veux ? me dit alors une voix, avant que son propriétaire ne se
penche contre mon obstacle pour en essuyer les traces que je venais
de faire.
- Allez, allez, on grimpe !
Et c’est avec le crâne en feu que
je montais dans un véhicule dont j’ignorais totalement le modèle.
Elle arborait des flammes géantes peintes du capot au coffre.
Je sentis mon corps s’écraser
contre la banquette de cuir et mon poids se doubler à mesure que le
pilote écrasait l’accélérateur. À mes cotés, Sylphide tentait
de s’accrocher du mieux qu’elle put, secouée par les brusques
virages et autres dérapages parfaitement contrôlés.
- Je vous présente J.R ! Je me
suis dis qu’on aurait besoin d’un pilote un moment où un autre.
Ce soir on peut dire qu’il a fait ses preuves, non ? demanda
Geoffrey.
- Ouais, je suis d’accord pour faire
partie de l’équipe à condition que vous ne dégueulassiez pas ma
caisse. Bien sur, je prends une comm’ ! répondit-il avec
arrogance.
- On avait pas besoin de ça…
rétorquais-je, ne contrôlant plus les allées et venues de ma tête
contre le plastique qui entourait la portière.
- Moi après je m’en fous les mecs,
hein. Je vous fais descendre et vous expliquerez à vos p’tits
copains pourquoi vous vous êtes introduits chez eux sans permission…
J.R. ne s’était jamais investi
réellement dans nos plans. Il n’étudiait son rôle qu’au tout
dernier moment et ne cherchait en aucun cas à participer pleinement
à nos parties de « cache-cache ». Pour lui, le simple
fait de nous conduire et nous ramener à bon port justifiait qu’il
récupérait une part de la somme que nous recevions de nos
acheteurs. Mais je crois que ce qui m’énervait le plus était de
le voir semer cet argent aux quatre vents, dilapidant celui-ci dans
bon nombre de futilités.
Du simple petit caïd de rue, J.R
était passé, grâce à nous, à un dandy se pavanant beaucoup trop
à mon goût avec des fourrures et des bagues en or plein les doigts…
Mais pourquoi avoir gardé un tel
personnage me direz-vous ?
En plus d’avoir apporté plus d’une
fois la discorde dans le groupe, il était, selon moi, une balance
potentielle.
Il fut également le sujet de nombreuses bagarres entre mon frère et moi, si bien que je n’eus jamais de mal à lui rappeler que pour les talents de Sylphide, j’y avais laissé un doigt.
Il fut également le sujet de nombreuses bagarres entre mon frère et moi, si bien que je n’eus jamais de mal à lui rappeler que pour les talents de Sylphide, j’y avais laissé un doigt.
Le temps passait et nous continuions
nos méfaits au gré des nuits. Seulement, depuis un certain temps,
les affaires allaient de mal en pis car plus aucun nom ne figurait
dans notre carnet d’adresse, et nos planques se vidaient peu à peu
de tout butin.
L’entente se dégradait et cela se
ressentait dans chacune de nos missions. Alors, Geoffrey décida de
nous quitter un moi durant, avant de me promettre qu’il
rattraperait ses « erreurs ».
Puis, par une soirée glaciale de
février, il revint parmi nous de façon explosive.
- Ça y est, je la tiens cette fois !
Sylphide, qui était avachie sur le
canapé, sortit de son roman pour s’intéresser aux dires de
Geoffrey.
- Qu’est-ce que tu tiens ?
demanda-t-elle perplexe.
- Ma promesse ! Je tiens ma promesse !
Les affaires reprennent et je vous ai dégoté la baraque qu’il
nous faut !
Il était surexcité et faisait les
cent pas dans le salon, parlant vite et fort, avec une gestuelle
propre aux impatients.
- Attends, de quoi tu parles ? dis-je
tout en cherchant à le canaliser.
- Je parle d’un domaine qui se vide
de ses occupants chaque nuit à la même heure. Je parle d’un
château immense aux innombrables pièces, je vous parle de tous les
trésors que doit receler cet endroit !
Sylphide et moi échangeâmes un
regard des plus dubitatifs.
- Une telle opportunité ne se
représentera pas Ethan… fini-t-il, espérant me convaincre.
- Et comment l’as-tu trouvé ?
demanda très justement la jeune fille, avant que Geoffrey ne s’en
sorte une fois de plus par une pirouette.
- Mais on s’en fout de ça !
L’important, c’est ce qu’elle renferme, non ?
- Arrête de divaguer. Un endroit
comme celui-là doit être truffé de bonhommes en costume prêts à
faire feu au moindre bruit…
- Rien du tout je te dis ! À
vingt-trois heures tapantes, toutes les lumières s’éteignent et
trois personnes sortent pour ne revenir que vers cinq heures du matin
! Ça fait des jours et des jours que je les épie... j’ai même
réussi à bricoler un petit abri aux abords du château !
- C’est pour ça que tu schlingues
trois mètres à la ronde… ricana Sylphide.
- Tu peux rire, quand tu seras
richissime, tu sauras qui remercier !
Je ne pus dire un mot qu’il continua
sur sa lancée.
- Bon, organisez-vous, j’appelle J.R
pour qu’il se prépare à décoller dès demain soir, parce que
c’est tout de même pas la porte à coté.
J.R. ne pouvait s’empêcher de
protester chaque fois que nous chargions sa voiture de nos effets
qui, selon lui, alourdissaient le bolide.
Des outils de crochetage et autres
pieds-de-biche, des trousses de secours, lampes torches,
talkies-walkies, cordes et surtout, nos « costumes de scène »
comme j’aimais à les appeler.
Sylphide revêtait sa combinaison
moulante de l’époque où elle œuvrait pour la troupe infernale,
flirtant en compagnie des ombres, indétectable si nos cibles
n’étaient pas équipées d’une certaine technologie.
Geoffrey optait pour le camouflage
intégral lui donnant une allure très militaire, allant jusqu’à
s’enduire le visage de charbon afin de disparaître dans
l’obscurité.
Quant à moi, ne négligeant pas mon
goût pour une certaine mise en scène, je ne me séparai jamais de
mon long manteau. Un pantalon basique noir,et d’épaisses
chaussures aux bouts coqués d’une plaque de métal. Quand bien
même nous portions tous des gants, j’ajoute pour mon coté
théâtral - et il est important pour moi - , un masque de cuir me
donnant l’aspect d’un visage brûlé. Je puis vous assurer de son
effet car, chaque fois où je fus surpris par une tiers personne
lorsque je fouillais ses biens, la victime observait un temps d’arrêt
si important qu’il me fut aisé de disparaître deux fois avant
qu'elle ne donne l’alerte.
La route se fit dans un silence de
mort, un silence dont nous nous servions pour nous concentrer, entrer
dans une transe et prier Hermès, Brigid ou encore Ashur et leurs
disciples.
Après un long moment à déchirer le
bitume, notre chauffeur s’arrêta au bord d’une forêt située
dans un paysage montagneux…
- C’est là ? s’étonna J.R .
- Presque, répondit Geoffrey, nous
finirons à pieds.
Après une rapide préparation sous
forme de rituel, notre voiture alla se poster un peu plus loin, son
pilote à l’affût de notre retour.
Quant à nous, c’est avec une
appréhension grandissante que nous pénétrâmes dans l’épaisse
forêt, traçant un chemin avec le faisceau de nos lampes.
Au début, notre progression fut
plutôt aisée. Enfin… jusqu’au moment où nous arrivâmes à un
croisement où nous fûmes contraints d’éteindre toutes les
lumières sur ordre de Geoffrey.
- À gauche toute, vingt pas environ,
chuchota-t-il.
Vingt pas qui nous menèrent à une
petite cabane de bois ressemblant fortement à un tipi recouvert de
feuilles mortes. Le maigre abri était bien trop étroit pour tous y
loger, mais serrés de la sorte, nous oublions les lames glacées du
vent qui nous fouettaient le corps.
- Ok… et maintenant ? demandais-je à
mon frère.
- Pile dans les temps ! Geoffrey
venait de dégainer sa montre et ajouta : Maintenant, tu ne bouges
pas et tu regardes par là.
D’un doigt tremblant à cause du
froid, il désigna un épais grillage, au loin… si loin, qu’il me
fallut plisser les paupières afin d’ajuster ma vue. Mais à peine
avais-je eu le temps de m’habituer à l’obscurité qu’une chose
étrange se produisit. Devant nous, le grillage s’ouvrit dans un
fracas de chaînes et un horrible grincement de gond.
- Ils arrivent… murmura notre guide
nocturne.
En effet, lorsque la grille fut
complètement ouverte, l’on vit sortir un carrosse noir tiré par
quatre chevaux. À l’intérieur de celui-ci brillait une faible
lueur semblable à des flammes de bougies, lesquelles déformaient
aux rythmes des chaos de la route les trois silhouettes qui
siégeaient dedans.
- Merde, vous avez vu comment se
tiennent les cochers ? leurs fis-je remarquer.
- Je n’y avais pas prêté attention
jusque là , mais on dirait qu’ils… dorment ! répondit mon
frère.
- Ou qu’ils sont morts… regarde,
on dirait qu’ils sont maintenus par des cordes !
Juste après avoir fini ma phrase,
j’aperçus Sylphide se signer. Elle tremblait non plus de froid
mais de peur. Et sa phrase confirma mes craintes…
- Il y a quelque chose d’anormal
ici. Je le ressens au fond de moi, cette forêt ne nous veut pas, je
peux entendre le murmure des arbres. Ils nous mettent en garde…
Le carrosse venait de disparaître et
j’appuyais avec foi ce que venait de dire Sylphide.
- Je ressens également une présence
hostile... Et de vous à moi, une famille qui se déplace en carrosse
à notre époque…
- Mais arrêtez de voir le mal partout
putain ! Ce n’est qu’une bande de bourgeois excentriques ! Ethan,
ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’on en voit…
Souviens-toi de ce type chez qui on s’était introduit et où tu
t’étais dissimulé sous le lit de sa mère lorsqu’il déboula
dans la chambre…
- Oui, oui, inutile de me le rappeler…
- Je ne me souviens pas de cet homme ?
s’étonna Sylphide qui cherchait tant bien que mal à réchauffer
ses bras.
- C’était un peu avant que tu
n’arrives…
- C’est bon Geoffrey ferme la
maintenant !
Le souvenir de cette histoire faisait
affluer le sang dans tout mon corps au point de m’immuniser
soudainement contre le froid.
- Et alors, je ne vois pas le
problème, se cacher sous un lit n’a rien d’étrange… cherchait
à comprendre notre amie.
- Ouais, sauf que la vieille était
dans le lit, morte depuis une dizaine de jours et que…
- Et que quand je ferme les yeux je
revois son visage éclairé par ma torche… deux semaines
d’insomnies et de cauchemars au moindre assoupissement…merci
Geoffrey.
- Le type était du genre fusionnel et
ne voulait pas se « séparer » de Maman, répondit mon
frère.
- C’est horrible…
- Oui jeune fille, c’est horrible.
Bien plus que de se balader dans un carrosse, non ?
Geoffrey venait assurément de marquer
un point, sans pour autant arriver à nous rassurer. Il se leva et
nous conduit jusqu’au portail qui de près s’avérait être
gigantesque. De chaque coté s’élevait deux colonnes sur
lesquelles trônaient d’énormes gargouilles menaçantes aux ailes
de chauve-souris.
- Ne vous laissez pas impressionner,
on suit le sentier sur une centaine de mètres et on y est, dit
Geoffrey à voix basse.
Après une progression ralentie par
notre vigilance, nous arrivâmes entiers devant l’édifice.
En premier plan se tenait une statue
de pierre représentant une femme tenant une jarre d’où avait dû
s’écouler de l’eau. Mais à la vue du tas impressionnant de
feuilles mortes et autre débris de bois au fond du bassin, la
fontaine prouvait qu’elle était tarie depuis bien longtemps…
De chaque coté s’étirait de grands
escaliers croisés à double rampes, superposées en trois étages et
débouchant sur une lourde porte de bois à double battant. Le
château se composait de trois parties réunies en un bloc massif. À
gauche, une tour cylindrique au toit conique pointait vers le ciel
noir charbon.
Le pavillon de droite semblait plus accueillant, de forme rectangulaire percé par de nombreuses fenêtres, il était couronné d’un haut pignon animé de lucarnes et de cheminées. Point central de cet édifice, une haute tour carrée coiffée d’un dôme en forme de bulbe quadrangulaire, rehaussé d’un lanternon. Quelques créatures fantastiques figées dans les murs ainsi que neuf niches porteuses de bustes de personnages intrigants dont jamais je ne devinerai l’identité.
Le pavillon de droite semblait plus accueillant, de forme rectangulaire percé par de nombreuses fenêtres, il était couronné d’un haut pignon animé de lucarnes et de cheminées. Point central de cet édifice, une haute tour carrée coiffée d’un dôme en forme de bulbe quadrangulaire, rehaussé d’un lanternon. Quelques créatures fantastiques figées dans les murs ainsi que neuf niches porteuses de bustes de personnages intrigants dont jamais je ne devinerai l’identité.
- Bon, essayons de trouver une entrée
facile d’accès, lançais-je, sortant tout le monde de l’hypnotisme
que nous causaient le château.
- Je vais tenter de crocheter l’une
des fenêtres sur le coté, si j’y ai accès ça sera un jeux
d’enfant, dit Geoffrey.
- On te suit de près et une fois à
l’intérieur on se sépare pour couvrir plus de zones. Talkies
branchés sur la fréquence deux, toi Sylphide tu… Sylphide ?
La jeune fille montait lentement les
escaliers, comme attirée malgré elle par l’entrée principale de
la demeure.
- Ethan, qu’est-ce qui lui arrive ?
s’inquiéta soudainement Geoffrey.
- Je n’en sais rien, elle est
bizarre depuis qu’on est entré dans la forêt…
Il ne nous fallut que quelques
secondes au pas de course pour la rejoindre en haut des marches,
devant l'énorme porte.
- Cette maison est toujours vivante,
mais elle pleure son passé… dit-elle en caressant le bois épais.
- Regardez, c’est elle qui nous le
dit…
Mon frère et moi fîmes un pas en
arrière devant cette chose que nous n’avions jamais vue jusque là.
Gravée dans le bois, une scène macabre nous était contée.
Il y avait un homme dont le portrait
était divisé en deux. Sur la partie gauche, il était représenté
en guerrier armé d’une lance, trônant sur une montagne de
cadavres. Et dans la partie voisine, il tenait une coupe aux motifs
finement ouvragés. À ses cotés, des hommes et des femmes étaient
représentés dans une scène orgiaque, entourés de nourriture et
d’argent, symbole d’opulence et de luxure.
Au dessus de ce bas relief, le même
homme était maintenu contre un mât entouré de ses sujets, brûlant
avec eux sur un gigantesque bûcher.
Je lus à voix haute la longue phrase
disposée en demi cercle sur toute la hauteur de la porte :
- « Passant, mange, bois,
divertis-toi, tout le reste n’est rien… »
- Elle nous autorise à entrer… dit
alors Sylphide.
Puis dans un chant sinistre, la porte
s’ouvrit lentement, laissant assez d’espace pour nous permettre
d’y pénétrer.
Notre jeune amie eut un frisson, comme
si elle revenait à elle.
- Sylphide, ça va ?
- Oui, ne t’inquiète pas Ethan.
C’est juste que…j’ai ressenti des choses … n’y pensons
plus. Canal deux comme d’habitude ?
- Canal deux, comme d’habitude,
répondis-je rassuré de la voir plus concentrée.
Nous entrâmes tous trois dans un
grand hall lugubre, envahi par les désagréments du temps qui passe.
Cinq portes et deux escaliers nous laissaient l’embarras du choix
sur nos destinations futures.
Geoffrey choisit d’explorer en
grande partie le rez-de-chaussée afin de répertorier de façon
précise toutes les issues dont nous disposions. Sylphide décida
d’arpenter la tour circulaire à la recherche de ses trésors et en
ce qui me concerne, je m’offrais l’exploration du pavillon.
Lorsque je tournai une première
poignée, j'entrai dans un long couloir où s’allongeaient de
grandes tapisseries aux motifs moyenâgeux éclairés d’une
multitude de candélabres ( j’aurais juré sur ma vie n’avoir vu
aucune source de lumière de l’extérieur ). Je traversai la
galerie avec émerveillement. Bien qu’il nous fut impossible de
transporter de telles œuvres, je n’en restai pas moins admiratif
de leur valeur. Plus loin, je montai une longue série d’escaliers
dont les murs étaient drapés aux couleurs de la nuit. L’illusion
de marcher parmi les étoiles s’accentuait à mesure où
l’ascension paraissait sans fin. Au bout du chemin, je me trouvai
face à une porte drapée d’un voile rose transparent, habillé de
dentelle finement brodée. Mon cœur battait à vive allure à l’idée
de ce que je trouverai derrière celle-ci et alors que je m’apprêtais
à entrer :
- Geoffrey pour le reste de l’équipe.
Je présume que si personne ne s’est encore manifesté c’est que
vous aussi avez eu votre lot de bizarreries ?
La voix de mon frère dans le
talkie-walkie me fit sursauter, sur quoi je répondis :
- Ethan pour Geoffrey, tu as trouvé
quelque chose de « transportable » ?
- Je n’aurais pas trouver meilleure
expression ! Cette maison regorge de merveilles mais aucun moyen de
les déraciner. J’ai trouvé quelques portraits signés, mais ils
me foutent la trouille, ils me donnent l’impression d’être suivi
du regard… Personnellement je n’y toucherai pas… Geoffrey à
Sylphide, tu en es où ? Geoffrey à Sylphide… Sylphide, tu me
reçois ?
- Sylphide, c’est Ethan, dis quelque
chose ! ordonnai-je d’un ton sec par crainte de n’avoir une
nouvelle fois aucune réponse.
- Chut… Ethan, monte le son de ton
talkie et écoute…
D’une main tremblante, je poussai le
volume jusqu’à son maximum et colla le boîtier contre mon
oreille… Mon sang se glaça d’effroi. A travers le talkie, on
pouvait entendre les chuchotements d’une langue indescriptible.
La sueur qui s’était insinuée sous
mon masque me brûlait le visage et dans mes mains, le talkie-walkie
devenait presque brûlant.
- Bordel, à qui appartiennent ces
murmures ?
- Je n’en sais rien, Geoffrey… je
n’en sais rien…
Mais mon frère poussa un cri.
- Geoffrey ! Qu’est-ce qui se passe
? Geoffrey !
- Pas d’inquiétude, le talkie est
devenu très chaud et je l’ai lâché…
- Bon, je visite ma dernière pièce,
on part à la recherche de Sylphide et on se casse de là…
- Bien, je commence à croire que
c’était une mauvaise idée finalement… avoua-t-il.
Des grésillements sortaient de nos
appareils quand soudain :
- Sylphide pour les garçons, vous
m’entendez ?
La voix de notre amie sonnait comme un
vive soulagement pour nous.
- Merde Sylphide, mais qu’est-ce que
tu foutais putain ? cria Geoffrey.
Mais les réponses arrivaient par
bribes de mots entrecoupés d’interférences et de sa longue phrase
je ne compris uniquement les mots chambre, prince, coffret et bijoux.
Inutile de lui demander si les
murmures que nous entendions quelques secondes auparavant furent les
siens, car au moment des questions son signal disparut et nous
perdîmes alors tout contact avec elle.
Ne voulant que mon rôle de leader ne
m’échappe, je lançais :
- Retour dans le hall dans un quart
d’heure.
Je pris une grande inspiration et
entra dans ce qui serait ma dernière pièce.
La porte s’ouvrit sans résistance
et je plongeai à présent dans une chambre qui avait dû appartenir
à une jeune fille. La chambre était de taille raisonnable et
décorée avec soin. Elle était composée d’un lit à baldaquin
usé et les étagères qui entouraient la pièce étaient recouvertes
d’éditions anciennes de livres. Dans un coin se trouvait une
coiffeuse dont le miroir était brisé en plusieurs morceaux. Sur
celle-ci était disposé tout un tas d’accessoires ainsi que des
flacons de formes diverses et variées. Je décidai alors d’explorer
mon terrain de chasse. Lorsque j’ouvrai la seule armoire de la
chambre, je fus étonné que tant de robes aussi majestueuses
puissent tenir en un endroit si confiné. Mais pour le moment,
toujours rien à prendre. Je décidai alors de fouiller la coiffeuse.
Regardant mon reflet rendu hideux par le port du masque, je n’aperçus
pas que derrière moi, la parure de lit se soulevait d’elle-même
quand soudain :
- Bonsoir…
La voix, bien qu’extrêmement douce
et féminine, m’emplit de terreur car j’aurais parié mon âme
que la pièce était vide de toute présence.
La lumière que dégageaient les
flammes semblait s’intensifier et tout me paru plus brillant, plus
propre même. Je me retournai lentement et aperçus une silhouette
allongée sous les couvertures du lit…
- Je vous ai fait peur ? C’est
pourtant moi qui devrais crier, n’est-ce pas ?
Je ne saurais dire pourquoi, mais la
voix de cette jeune fille m’ensorcela et de manière bien
maladroite, je balbutia :
- Que… qui êtes vous ?
- Qui je suis ? Vous qui pénétrez
dans ma chambre, vous me demandez qui je suis ?
La justesse de ses propos me
couvrirent de honte, je m’étais introduit dans la chambre de cette
jeune fille et me conduisais en parfait monstre d’impolitesse.
- Je vous demande pardon mademoiselle,
je… je m’en vais de ce pas et ne vous importunerai d’avantage.
Et tandis que je m’approchai de la
petite porte, la jeune fille stoppa mon élan.
- Non, attendez ! Je ne reçois jamais
personne. Père m’interdit toute visite tant que… que je n’irai
pas mieux. Et il y a trop longtemps que je n’ai pas tenu de
conversation… Venez, approchez !
Jusque là, je ne pouvais distinguer
son visage à cause de l’ombre que projetaient les épais tissus
accrochés aux bords du lit, mais lorsque je fus à sa hauteur, je
sentis une main frôler mon visage.
- Seriez-vous défiguré pour le
dissimuler sous un masque ?
Celui-ci se déchira en deux avant de
tomber lourdement sur le sol.
Rien au monde n’avait à présent
plus de valeur que ce que je vis. La beauté de son visage plongea
mon être au plus profond d’un sentiment qui m’était jusque
alors inconnu. Elle avait de grands yeux verts et une longue
chevelure châtain descendait loin sur son dos. Ses traits avaient la
perfection d’une déesse grecque et sa peau, bien que très pâle
était lisse de défaut. Lorsque sa main prit la mienne, mon corps
tout entier fut frappé par la foudre et chacun de mes muscles se
contracta, tétanisé de connaître une telle douceur. Je fus si
troublé que durant un court instant je remis en question mon statut
de voleur car, et cela resta l’unique fois de ma « carrière »,
je préférais mourir plutôt qu’elle ne souffre de voir une bande
d’oiseaux de nuit violer sa propriété.
- Asseyez-vous près de moi, dit-elle
en s’écartant délicatement afin de me laisser assez d’espace
pour que je puisse m’y poser.
Elle plongea ses yeux un long moment
dans les miens.
- Je me nomme Laura Déjulii. Puis-je
connaître le nom de l’homme qui entre dans notre domaine sans
invitation ?
Trop gêné pour soutenir son regard,
je répondis comme un enfant que l’on surprend à voler une
friandise.
- Je m’appelle Ethan. Et je suis…
je suis un…
- Ne vous fatiguez pas, je sais ce que
vous êtes. Mais n’ayez crainte, quelque chose me dit que vous ne
ressemblez aucunement à ceux qui comme vous ont déjà tenté leur
chance en ces murs.
Lutant pour sortir de l’emprise de
sa voix, je cherchais à répondre de façon la plus distincte
possible.
- À vrai dire, je ne pensais pas
qu’il y aurait quelqu'un dans ce château. Nous avons vu un
carrosse sortir et nous…
- Ah, il ne s’agissait que de ma
famille. Père, mère et mon frère Thibalt, dit-elle en me coupant
la parole.
- Votre famille ?
- Oui, ils ont la chance de pouvoir
sortir tout les soirs, eux.
Je ressentais comme une pointe d’envie
dans sa voix.
- Pardonnez mon indiscrétion, mais
quel genre de mal vous oblige à rester alitée ? demandais-je de la
façon la plus délicate et courtoise possible.
Elle tortillait le linge blanc qu’elle
portait, le chiffonnant entre ses doigts.
- Père dit que je ne m’alimente pas
comme je le devrais. Ma façon de faire n’est pas « conforme »
et c’est pour ça que je reste si faible. Mais je vais faire des
efforts et bientôt, je pourrai à nouveau me lever, danser…
Aimez-vous danser Ethan ?
- Je… je ne suis pas doué pour
cette discipline, désolé.
Nous nous sourions l’un l’autre et
restions à discuter longtemps encore, apprenant à nous connaître.
Je sus qu’elle appartenait à une noble famille dont les ancêtres
remontaient à l’aube de l’humanité, œuvrant dans l’ombre
d’empereurs, de rois ou autres héros de l’histoire.
De mon côté je racontais mes
aventures, extrapolant quelques « fait d’armes » afin
de me rendre plus intéressant. Nos vies s’étalaient comme les
chapitres d’un roman qui nous appartenait, et j’étais émerveillé
par ses connaissances, sa culture ou son amour pour les arts. Je me
dis alors qu’il me faudrait plusieurs vies avant de pouvoir égaler
un tel savoir.
Je buvais ses paroles sans jamais être
rassasié et me perdais dans ses yeux espérant secrètement ne
jamais en trouver la sortie.
Tout à coup, nous fûmes dérangés
par un grand fracas venant de l’extérieur.
- C’est Père ! s’exclama-t-elle.
- Si tôt ? Mais il n’est que…
Lorsque je portai l’écran de ma
montre à mes yeux, les aiguilles affolées tournaient toutes d’un
sens différent.
- Mieux vaut pour vous de me quitter.
Je me dirigeai alors sans autre forme
de procès vers la porte de la chambre, mais Laura m’interpella.
- Vous reverrais-je Ethan ?
- Dès qu’il me sera possible de…
- Demain soir, revenez demain soir,
insista-t-elle. je ne saurai vous dire ce qu’il s’est passé
entre nous ce soir, mais il m’est inconcevable de vous attendre
plus longtemps…
Ma faiblesse prit alors le dessus.
- Je reviendrai, demain soir… je
vous en fais la promesse.
- Et moi de vous attendre, me
répondit-elle.
Je sentais mon cœur se serrer dans ma
poitrine lorsque je refermais la porte sur le portrait de ma douce
amie. Faisant chemin arrière en toute hâte, je dévalais les
escaliers d’étoiles, traversais les nombreux corridors et après
avoir franchi la galerie, j’arrivai dans le hall où deux personnes
me sautèrent à la gorge.
- Putain ça fait quatre heures qu’on
te cherche, où tu étais ? hurla Geoffrey qui me plaqua au sol, le
visage déformé par la colère.
Je repoussai le corps lourd qui me
maintenait à terre.
- Un simple retard de trente minutes
justifie ton comportement peut-être ? eut-il en guise de réponse,
mon poing s’apprêtant à s’abattre sur le coin de son visage.
Mais une frêle main interrompit le
mouvement.
- Nous n’avons pas le temps pour ça,
dit calmement Sylphide, J.R menace encore de partir et il est hors de
question de lui céder une nouvelle partie de mon butin pour le
retenir !
Nous nous fixions pourtant tels deux
chats sauvages, lorsqu’un nouveau bruit nous poussa alors vers la
sortie. Bien qu’il fit encore nuit, nous courrions vers la sortie
du domaine lorsque nous vîmes le carrosse garé le long du château
et fort heureusement pour nous, vidé de ses occupants. Après une
longue foulée, nous entrâmes rapidement dans la voiture tandis que
J.R piétina l’accélérateur avant même que les portes ne furent
closes.
Alors que le véhicule dévalait la
montagne, son pilote proférait des insultes envers l’équipe et
particulièrement moi-même.
- Où étais-tu Ethan ? demanda
Geoffrey les dents serrées.
- Je fouillais…
- Arrête de te foutre de ma gueule !
hurla-t-il à mon encontre. Pendant quatre heures ? Tu as fouillé
pendant quatre heures ? Quitte à nous mentir, je pensais que tu
aurais au moins la décence de choisir une meilleure excuse…
continua-t-il.
- Tiens voilà ta part, et un petit
surplus comme promis… dit Sylphide à J.R, cherchant à apaiser
l’air électrique qui régnait autour de nous.
Elle tenait entre ses jambes un
coffret en argent d’où elle extirpa quelques pièces d’or
anciennes et une énorme chevalière de métal en or qu’elle tendit
au conducteur. Mais celui-ci grimaça…
Je ne tolérais guerre de voir leurs
doigts arracher les richesses que contenait le coffret car, lorsque
je regardais le ciel noir, chaque trait du visage de Laura étincelait
à travers lui telle une sublime constellation…
- C’est tout ! Putain il va falloir
vous remuer les gars ! cracha le chauffeur, ce qui me fit exploser…
- FERME TA GUEULE ! hurlai-je en
réalité plus pour l’ensemble de l’équipe que pour J.R
lui-même.
Un lourd silence s’en suivit, vite
interrompu lorsque j’annonçai :
- On y retourne dès demain soir…
Les protestations fusèrent de toutes
parts et il me fallait trouver une raison plus que valable pour
convaincre l’équipe de me suivre. C’est alors qu’une étrange
douleur vint me frapper à l’intérieur du crâne. Je commençai
soudainement à parler sans dompter mes mots, comme si quelqu’un
utilisait ma voix et mes lèvres pour s’exprimer.
- Je suis tombé sur le gardien du
site, et lui ai arraché la vérité sur les secrets des lieux. C’est
un benêt et j'ai eu beaucoup de mal à lui faire avouer où se
trouvait le trésor du château. Par contre pour ce qui est d’acheter
son silence quant à notre prochaine visite, ce fut un jeu d’enfant.
Quelques fausses promesses, et j’eus le droit de savoir que
derrière une porte dérobée, au plus haut de la tour carrée, se
trouvait le trésor de la famille. Et cela me prit du temps mon
frère, lançai-je en sa direction avant que tout ne revienne à la
normale et que la brume qui avait envahie mon cerveau durant quelques
secondes ne se dissipe.
Je saisis alors mon unique chance de
revoir Laura et trouvais que cette idée de trésor était plutôt
séduisante.
Après un débat houleux, l’ensemble
de l’équipe accepta de retourner au château la nuit suivante.
Nous passâmes la journée entière dans une auberge à quelques
kilomètres de là, où nous échafaudions un plan plus élaboré que
le précédent. Le travail ne fut pas des plus simples car il me
fallut également trouver quelque chose d’efficace lorsqu’ils
s’apercevraient que cette histoire de trésor n’était que
supercherie.
Néanmoins, après s’être mis
d’accord sur le déroulement de l’opération, nous entrâmes pour
la seconde fois entre les murs énigmatiques de ce château.
Alors que mes complices s’attardaient
à trouver un passage inexistant, je reconnu sans peine mon chemin et
gravis les marches étoilées quatre à quatre imaginant Endymion
retrouvant Séléné. J’ouvris la porte avec un empressement et
tandis que je m’attendais à voir Laura étendue par cette maladie
qui m’était inconnue, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je la
vis adossée contre ses oreillers, son visage illuminé d’un
sourire charmeur.
- Entrez Ethan ! Je suis si heureuse
de vous revoir, approchez-vous, dit elle en tapotant la petite place
qui m’était réservée.
Je m’exécuta et m’assis aux côtés
de la jeune fille, avant de me rassurer sur un point.
- Je vous trouve en meilleure forme
que la nuit dernière. Bien sûr, rien ne me fait plus plaisir que de
vous voir ainsi, mais j’espère seulement que vous ne vous surmenez
pas juste pour moi ? demandai-je.
- Ne vous en faites pas Ethan, je me
sens bien mieux et je dois avouer que… c’est entièrement votre
faute ! s’amusait-elle, avant de me demander :
- Vos amis sont venus avec vous ?
- Oui, ils… ils sont…
- Dans la tour carrée, je sais,
confirma-t-elle.
Je n’assumais nullement que les
miens pillent ces lieux, mais j’avais besoin d’eux pour revoir ma
belle. Alors que je cherchais à me faire pardonner cet odieux geste,
ma chère amie me réservait encore quelques mystères.
- Vous savez, je les ai envoyés sur
une fausse piste au trésor qu’un enfant de dix ans n’aurait
jamais cru. Mais je vous donne ma parole que je fais cela dans
l’unique but de vous revoir, avouais-je.
- Il n’y a jamais de fausse piste
dans ce château quand on sait où regarder. Et si on s’en montre
digne, il accepte de nous révéler ses moindres secrets. Je ne parle
pas de toutes les futilités que mon père et mon frère entassent.
D’ailleurs, que vos amis les prennent, cela apprendra à père à
avoir un peu plus de respect pour cet endroit. Je parle au nom de
chacune des pièces capables de respirer, de sentir les émotions.
Croyez le ou non, cette demeure est vivante et elle vous a mené
jusqu’à moi…
Toutes les réponses qui me venaient
en tête donnaient l’impression de maquiller de l’incrédulité
en blagues d’un goût douteux, alors je m’abstins.
Ce soir là, nous partagions des
choses plus intimes que la nuit dernière. Nos peurs profondes ( la
sienne étant la solitude, je jurai à ce moment que, moi vivant,
elle ne le serait jamais plus ), nos plus belles histoires, nos
souvenirs enfouis, mais aussi les leçons que la vie nous apporta.
J’aimais être auprès d’elle.
Chacun de ses sourires ou le moindre regard qu’elle posait sur moi
me faisaient voyager vers des contrées où mes craintes et mes
doutes s’évaporaient. Nous passâmes donc toute la nuit à
discuter avec la même complicité que peuvent avoir deux amis de
longue date. Et lorsque ce fut pour moi le moment de partir, la
tristesse s’empara du joli visage de Laura :
- Ethan , je… j’aimerais – elle
soupira – oh vous me prendrez sans doute pour une enfant
capricieuse mais… j’aimerais que vous m’accordiez une autre
requête, dit elle.
- Je vous écoute, dis-je en souriant
devant tant de beauté.
- Voilà. Vous conviendrez que notre
amitié, bien que nouvelle, soit profonde ?
J’acquiesçai.
- Et vous conviendrez que, comme moi,
vous ressentez cette chose au fond de vous lorsque nous sommes
ensemble ?
- J’en conviens, dis-je en souriant
une fois encore.
- Alors, j’aimerais que vous veniez
chaque nuit. Peu importe ce que cela doit coûter, peu importe les
risques, je ne saurais me priver de vos visites. Je vous en prie…
Elle venait à cet instant de combler
tous mes espoirs.
- Je reviendrai aussi longtemps que
vous m’accepterez, Laura…
À ces mots, j’allai déposer un
baiser sur le front de Laura tandis qu’elle posa sa main contre ma
joue. Le contact de sa peau était glacial mais peu m’importait, je
la touchais de mes lèvres. Le désir hardant de descendre plus bas
s’empara de moi, mais la raison fut plus forte… pour le moment.
Sortant de la pièce avec autant
d’envie que de descendre aux enfers, j’allais rejoindre Sylphide
et Geoffrey dans le hall et vis une scène des plus inattendues. Mes
deux compères attendaient assis sur les marches de l’escalier qui
menait à l’étage, adossés à un énorme sac rempli de choses
apparemment difficiles à déplacer…
- Pas facile à trouver, ta porte
dérobée... Mais on a le magot ! dit Geoffrey avec un rire gras tout
en ouvrant le sac qui contenait en fait une multitude de pièces et
de bijoux.
- Mais comment… c’est impossible…
murmurai-je.
J’avais beau réfléchir le plus
intensément possible, je me souvins qu’absolument tout ce que je
leur avais dit auparavant sur un quelconque passage secret n’était
que mensonge !
- Et encore, cela représente une
maigre part de ce qu’il reste ! dit Sylphide comme si elle n’avait
réussi à étancher sa soif.
- Il faut que l’on revienne, Ethan !
Chaque nuit, on pillera jusqu’à la dernière pierre !
Je ne pouvais rêver mieux. Mon propre
frère pourtant si réfractaire quant à l’idée de revenir une
nuit de plus dans ce château m’offrait maintenant l’opportunité
de revoir Laura…
- Entendu… Je m’occuperai de
saouler ce brave gardien tandis que vous pillerez les richesses de
ces lieux, dis-je avec un sourire de triomphe quand je pensais au
succès de mon plan.
Un nouveau jeu venait de débuter et
il dura des nuits entières. Nos conversations jamais ne
s’estompèrent et Laura m’apprit même l’art des échecs dont
nos parties duraient toute la nuit.
Je n’avais aucune idée de ce qui se
passait pour elle lorsque je devais la quitter avant l’aurore, mais
pour moi, tout aller en déclinant.
Au commencement, tous étaient
aveuglés par la cupidité et les visites aller bon train.
Geoffrey loua une sorte de local que
nous avions transformé en petit quartier général, meublé avec
raffinement par Sylphide qui dilapidait l’argent à une vitesse
prodigieuse. J.R quant à lui s’octroyait chaque semaine le droit
d’emporter une large partie du pactole pour le mettre à l’abri
dans nos planques d’origine. L’argent coulait à flot si bien que
plusieurs nuits je partais seul en direction du château, mes amis
préférant « espacer » leurs visites faute d’endroit
où cacher leurs richesses.
Moi, je ne le vivais pas comme ça.
Sans m’en rendre compte, je me métamorphosais petit à petit en
sombre créature. Je n’existais que dans la nuit. Le visage de
Laura devenait une obsession. Il se trouvait dans la danse d’une
flamme, les reflets d’un miroir, ou entre les gouttes de pluie qui
couraient contre les fenêtres. Je devins vite affaibli et ne
retrouvais mes forces qu'à la vue mon amie allant de mieux en mieux.
Accompagner ses premiers pas fut un
magnifique présent car je pus enfin la serrer dans mes bras. Aussi
légère que l’air, je faisais de mon corps un pilier sur lequel
elle n’avait aucun mal à se reposer. Il y eut cependant une ombre
au tableau. Geoffrey se doutait de quelque chose car il y avait
plusieurs semaines que je ne m’alimentais que trop peu et que je
passais mon temps, les yeux dans le vague.
- Ton gardien qui te révèle des
passages secret... c’est des conneries n'est-ce pas ?
Nous étions seuls, tous les deux
assis à notre table, un verre de whisky posé devant nous.
- Qu’est-ce qui te fait penser ça ?
- Parce que si tu voyais ce que je
vois...
Il me tendit un petit miroir.
- Tu te ferais peur.
Le reflet que je vis alors était
horriblement différent de celui que je connaissais. Mes paupières
étaient sombres et mes joues se creusaient dangereusement.
Je bus une gorgée de mon breuvage
Écossais et passa ma main dans mes cheveux.
- Tu ne me croirais pas de toute
façon… dis-je.
- Ethan , je ne t’ai jamais parlé
de ce que j’ai vu en traversant le château ? dit-il d’un ton
grave.
Alors, je regardai mon frère boire à
son tour comme pour se donner du courage.
- Tu te souviens de notre première
nuit là bas ?
« Comment ne pas m’en
souvenir, je revois encore la scène dans ses moindres détails. »
- Et bien juste après t’avoir parlé
avec le talkie, je suis tombé sur une immense salle à manger où le
couvert était dressé pour une vingtaine de personnes. Au début, je
me suis dis qu’il nous fallait faire demi-tour car les
propriétaires reviendraient sûrement en compagnie de leurs invités.
Mais ils étaient déjà là… Tous là…
Je mimais alors l’étonnement car en
réalité, je m’étais parfaitement fondu dans l’atmosphère de
ce lieux et ne m’étonnais absolument plus qu’un portrait me
suive du regard, ou que des ombres flottantes traversent devant moi.
Il poursuivit :
- Les couverts ne bougeaient pas, mais
il y avait des voix qui s’élevaient de nulle part. Un brouhaha au
départ et très vite des paroles hostiles où l’on me sommait de
partir. J’ai eu peur et j’ai couru droit devant moi. Je les
entendais rire, des rires lugubres. J’entrai alors dans l’unique
pièce qui s’offrait à moi pour finir dans l’obscurité d’un
putain de long couloir…
Mon frère interrompit son récit et
afin d’éviter un silence pesant, je lui demandai :
- Et pourquoi tu n’as pas appelé ?
Pourquoi ne pas être sorti tout de suite ?
Il prit une grande inspiration.
- Par fierté, sans doute… Vous
n’appeliez pas, alors je me suis dis que tout cela n’était que
mon imagination. Enfin jusqu’à ce que je traverse ce couloir où
des mains… plutôt des ombres en forme de mains, cherchaient à
m’agripper. Alors je… je me suis planqué dans un placard sous un
escalier et j’ai attendu…
- Tu as attendu ?
- Oui. À ce moment je ne savais pas
réellement quoi, mais quelqu’un descendait les marches sous
lesquelles j’étais caché et en regardant discrètement, j’aperçus
une silhouette familière…
- Sylphide ? demandai-je.
- Elle-même. Elle hurla quand je
sortis de ma cachette et lorsque je lui pris la main, elle était
moite de terreur. Jamais je ne lui ai demandé ce qu’elle avait vu…
Tout ce dont je me souvienne, c’est que la manche droite de sa
combinaison était arrachée. Même toi, tu ne l’as pas vue.
- Mais pourquoi ne pas avoir essayé
de lui parler ?
- Parce qu’à chaque fois que nous
étions deux, les phénomènes disparaissaient. À croire que cette
maison cherchait à nous déstabiliser psychologiquement lorsque nous
étions seuls avec elle… dit-il.
- Et tu ne m’as rien dit ? Pourquoi
avoir accepté de revenir ?
- Parce que tu es le chef, parce qu’on
a toujours été derrière toi et parce qu’on savait qu’il nous
restait quelque chose à faire là-bas. Et puis comme je te disais,
tant que nous travaillons à deux, il ne se passait plus jamais rien,
alors…
Nous bûmes une nouvelle dose de
whisky et je ne sais si il s’agissait d’un excès de confiance dû
à l’alcool ou à une envie profonde de ne plus me cacher derrière
des mensonges, mais je me décidai à tout lui révéler :
- Tu as raison le gardien est une
belle invention. Mais pour que tu ne me juges pas trop sévèrement,
il est nécessaire que je te raconte tout ce qu'il s'est passé
depuis la première nuit. Elle s’appelle Laura…
Je racontais tout à Geoffrey, jusque
dans les moindres détails de notre rencontre, sa famille, sa maladie
que nous avions terrassé ensemble, jusqu’aux lieux dont
j’inventais la localisation, sortis de nulle part et que lui et
Sylphide trouvaient par la suite… Mon frère projetait avait un
regard lointain, comme perdu dans ses pensées.
Puis après un instant :
- Tu comptes la revoir ?
- Cette nuit, oui.
- Tu es conscient que ça ne durera
pas ?
Une forme de fureur commença à
s’emparer de mon être à l’idée que mon frère puisse s’opposer
à l’amour que je portais à Laura.
- Et qu’est-ce qui te fait dire ça
?
- Tu ne fais donc attention à rien…
Puis il se mit à hurler :
- CA FAIT DES NUITS ET DES NUITS
QU’ON NE RAMENE PLUS RIEN !!! QU’ON A PLUS ENVIE DE JOUER A TON
PETIT JEU PARCE QUE TU NOUS PRENDS POUR DES CONS !!!
À mon tour, je laissai éclater ma
colère et balançai les verres vides à travers la salle, se brisant
en un millier d’éclats lorsqu’ils heurtèrent le mur…
- PERSONNE NE SE METTRA ENTRE ELLE ET
MOI TU ENTENDS !!! PERSONNE !!! NOUS Y RETOURNERONS ET JE L’EMMENERAI
LOIN D’ICI !!!
Geoffrey retrouva son calme bien plus
vite que moi…
- Très bien. Je vois que tu as déjà
fait ton choix… Mais laisse-moi te dire que tu iras seul ce soir,
demain à l’aube le reste de l’équipe et moi même quitterons
cet endroit sinistre, avec ou sans toi…
Il tourna les talons et avant de
sortir de la pièce lança :
- Je suis désolé, Ethan. Désolé
parce que je t’avais promis de racheter mes erreurs passées. Si
j’avais eu ne serait-ce qu’un signe de ce qui allait t’arriver,
crois moi que j’aurais préféré abandonner le groupe… Je te
souhaite d’être heureux avec elle.
Puis il claqua la porte.
La nuit venue, je me retrouvai dans la
voiture en compagnie de notre pilote, aux abords de la forêt.
- T’es sur que… t’es sur que ça
va aller ? sa tentative de sympathie ne m’atteignit pas et je lui
répondais de manière sèche.
- Pourquoi, ça t’intéresse
vraiment ?
- Je… j’arrête tout, m’avoua-t-il
comme désemparé par ses propres propos.
- Ne crois pas m’émouvoir J.R,
c’est peine perdue.
Je pouvais voir des larmes ruisseler
le long de ses joues.
- Je sais. Mais je voulais que tu le
saches c’est tout, je suis fatigué.
Ne supportant plus ses plaintes, je
sortis du véhicule. Ma colère ininterrompue s’estompait à mesure
de ma progression dans la forêt et comme à mon habitude,
j’attendais que le carrosse de la famille Déjulii franchisse le
portail de fer. Peut-être aurais-je dû prêter un peu plus
d’attention au dit carrosse cette fois, car l’attelage infernal
ne tractait plus trois, mais seulement deux personnes…
Le chemin qui me menait jusqu’à
Laura n’avait plus aucun secret pour moi et je le suivais sans
monotonie. Mais rien n’aurait pu prévoir ce que je vis alors :
- Bonsoir Ethan !
Se retournant face à moi, Laura était
plus somptueuse que jamais. Elle était vêtue d’une longue robe de
velours noir et bleu, brodée d'une dentelle la plus fine qui m’eut
été donnée de voir. Ses longs cheveux remontés sous forme
d’anglaises lui donnaient toute l’élégance d’une impératrice
n’ayant pour seul maquillage qu’un fin trait de rouge sur ses
lèvres. L’émeraude naturelle de ses yeux l’emportait sur un
quelconque artifice.
- Laura , vous êtes…
resplendissante !
Elle joignit timidement les mains
contre sa poitrine.
- Merci Ethan. C’est… c’est
grâce à vous tout cela.
- Grâce à moi ? répétais-je
- Approchez…
Je ne résista pas à l’appel et
lorsque je fus presque en corps à corps, je sentis une main se poser
autour de ma taille tandis que mon amie me présentait l’autre.
- Vous souvenez vous de ce dont je
rêvais de faire il y a de cela quelques temps ?
Je lui pris la main.
- Oui, mais vous savez je…
- Laissez-vous simplement guider,
insista-t-elle.
Une valse sortant de nulle part
résonnait dans ma tête. Un air pourtant connu mais qu’il m’était
impossible d’identifier. Nous tournions lentement, faisant fi du
peu de place que nous avions pour exécuter une danse qui en demande
tant.
Puis, au bout de quelques minutes nous
nous statufions, nous fixant, nous souriant.
Un parfum doux et léger embaumait l’air
de la chambre, un parfum sucré, un parfum de fleur. Et c’est à ce
moment que je décidai de poser mes lèvres contre celles de Laura.
La douceur de sa bouche, de sa langue, jamais je n’avais ressenti
pareil nectar… Nous nous embrassâmes longuement répétant nos
assauts avec passion, comme-si nos lèvres se faisaient l’amour. Sa
main parcourut ma joue et nous nous laissâmes envahir par la fougue
de notre baiser. Jusqu’à ce que…
CLAP !!! CLAP !!! CLAP !!!
- Quel… charmant spectacle…
Un homme sortit de l’ombre.
- Thibalt ? Mais… que fais-tu ici ?
s’étonna Laura en s’écartant de moi.
L’homme était grand et svelte. Une
épaisse chevelure blonde descendait jusque sous ses épaules et il
était habillé d’un uniforme semblable à un académicien
français, à ceci près que la couleur rouge sang prédominait sur
sa veste. Ses yeux jaunes, se posèrent alors sur moi.
- Oh Laura , tu as recommencé ? Père
sera furieux…
- Père n’en saura rien…
répondit-elle en baissant la tête comme intimidée.
Mais le jeune homme riait à gorge
déployée.
- Ma pauvre sœur, crois-tu que nous
ignorons tes petites manigances ? Ne sois pas si sotte !
Je ne supportais pas de voir ce type
insulter ma Laura.
- Ne pensez pas pouvoir vous mettre en
travers de ma route. Si je suis venu ce soir c’est pour demander à
votre… sœur, de quitter ces lieux et de venir avec moi ! dis-je
avec sûreté.
Mais l’effet escompté fut tout
autre, Thibalt riant plus fort encore.
- Et bien, ma sœur ! On peut
dire que ton jouet ne manque pas d’audace !
Puis reprenant très vite un air
sérieux, il ajouta :
- Je te serais gré cependant de bien
vouloir effacer cet air prétentieux de ton petit visage. Dit-il avec
sévérité à mon égard.
- Ethan, attendez-moi dans la galerie
s’il vous plaît. Je vous y rejoindrez dès que j’en aurai fini
avec mon frère, me dit Laura sans m’accorder un autre baiser
pourtant espéré.
Cela dit, je ne résistais pas à la
tentation d’une remarque que je lançai au visage de Thibalt
lorsque je croisai celui-ci pour sortir de la chambre.
- Tu vois, j’avais raison…
murmurais-je avec un sourire victorieux.
Un grognement bestial émanant de mon
rival raisonnait dans toute ma poitrine.
Lorsque la porte se ferma je
n’entendis rien d’autre qu’un claquement provenant de
l’intérieur de la pièce, aussi je décidai d’obéir à ma bien
aimée.
J’attendis longuement dans cette
grande pièce froide qu’est la galerie, essayant de comprendre le
sens des mots que Thibalt prononça dans la chambre. J’avais beau
retourner toutes les questions dans ma tête, rien n’y faisait. Je
me heurtais chaque fois à un mur d’incompréhension sur la
signification de phrases telles que « tu as recommencé »,
ou encore « ton jouet »… Soudain, la porte s’ouvrit
et j’emboîtai le pas de Laura pour aller à sa rencontre, mais fut
stoppé dans mon élan lorsque la silhouette de Thibalt apparue
devant moi.
- Où est Laura ? criai-je.
En guise de réponse, il me jeta
quelque chose que je rattrapai au vol de façon maladroite. Puis,
sans en avoir maîtrisé pleinement le geste, je venais de parer un
assaut violent grâce à la garde de ce qui se révélait être une
épée.
- Voyons si tu manies aussi bien
l'épée que ta langue, dit-il en souriant.
Gauche, droite, gauche… Je bloquai
de véritables coups dévastateurs, déchirant l’air comme un
fouet, aussi puissants qu’un marteau de guerre.
- Bien jeune homme, très bien !
J’esquivai de nouveaux assauts
attaquant mes flancs, mes bras ou encore cherchant à entailler mes
jambes pour me faire plier.
- À mon tour… grognai-je.
J'envoyai ma lame à la rencontre de
la sienne en une série d’attaques peu convaincantes que mon
assaillant n’eut aucun mal à esquiver à une main.
- Je m’en doutais… cracha-t-il.
Gauche, gauche, droite, j’interceptai
chacune de ses attaques, non sans mal.
- Tout ceci ne sert à rien, votre
défoulement sur moi n’empêchera l’amour que Laura et moi
partageons ! dis-je, haletant.
Contre toute attente, Thibalt baissa
sa garde et se mit à rire bruyamment :
- Laura ? De l’amour ? Mon pauvre
garçon tu n’as décidément rien compris… Elle se nourrit de
toi, de tes émotions, de tes sentiments. Elle prend des forces, TES
forces, à mesure que tu la laisses t’envahir. Et quand elle en
aura fini avec toi, tu finiras comme tous les autres…
- MENSONGES ! hurlai-je en ayant en
tête d’horribles images.
Il plongea sur moi avec la rapidité
d’un éclair. Nos épées se croisèrent et nos visages n’étaient
à présent distants que de quelques centimètres.
- Nos parents ont marché dans Rome
aux cotés de Néron, défiant le temps et l’histoire. Plusieurs
fois torturés, jugés, assassinés, ils ont vaincu les régimes,
assurant au fil des âges la survie de leur espèce. Et toi,
misérable, tu voudrais enlever leur précieuse enfant ! Toi, le
simple mortel, debout devant les enfants d’Assurbanipal…
REGARDE-MOI !!! fini-t-il par hurler.
Son sourire carnassier me laissait
voir de grandes canines acérées, étincelantes. Il se dégagea d’un
saut en arrière et m’assénât un coup bien trop violent et rapide
pour ma frêle garde. Une grande entaille creusa alors mon torse
répandant mon sang sur le sol, avant que je m’agenouille aux pieds
de mon adversaire.
- Voilà, ta véritable place…
Il se retourna, lâcha son arme et
partit dans la même direction qu’il était venu. Je cherchais en
vain à me relever, mais Thibalt s’arrêta, et sans prendre la
peine de me regarder, dit :
- Demain soir nous vous convions tes
amis et toi à un dîner. Père est très fâché d’avoir retrouvé
l’une de ses chambres fortes vides et il aimerait beaucoup
connaître les noms de ceux qui ont survécu à ce château. Par
ailleurs, j’aimerais vivement récupérer ma chevalière d’argent.
J’inondais le sol d’hémoglobine.
- Tu peux crever…
- Oh, mais tu m’y obliges !
D’ailleurs, je garde la personne qui t’attendait dehors avec moi.
Il sera mon hôte pour le reste du temps qui nous sépare de notre
dîner. Petite assurance au cas où vous chercheriez à vous dérober…
Sans autre mot il sortit et me laissa,
abattu sur le sol.
Je mis plusieurs minutes à me relever
et ne voulais quitter ce château sans avoir vu Laura. Pourtant, le
mal eut raison de moi et je sortais péniblement de la demeure.
Traînant ma souffrance comme un
boulet fixé à mes chevilles, je me retournai sur le château
lorsque je fus dehors et aperçus la silhouette de ma douce amie,
immobile devant la fenêtre de sa chambre. Je voulus pourtant lui
faire un signe afin de lui assurer mon retour, mais la douleur que
m’infligeait un simple mouvement de bras me força à m’abstenir.
Il me fallut à tout prix faire vite, aussi je décidai de trancher
la route sinueuse habituelle par l’épaisse forêt, laquelle, je
dois bien l’avouer, faillit me garder en elle à chaque obstacle.
Le soleil était déjà haut dans le
ciel quand j’ouvris la porte de nos quartiers. Alors que mon visage
rencontrait le sol, Sylphide et Geoffrey m’installèrent sur un
support plus confortable.
- Que s’est-il passé ? me demanda
mon amie qui me prodiguait les premiers soins, d’une efficacité
prodigieuse.
- Ils nous ont découvert… dis-je ,
la voix affaiblie par la fatigue.
- Qui ça ils ? demanda Geoffrey.
- La famille de Laura, ils savent ce
que nous avons fait…
- Bon, je prépare les affaires et on
se casse, dit mon frère se précipitant partout et nulle part à la
fois.
- Ils… ils tiennent J.R !
Mes deux amis échangèrent un regard
terrifié.
- Merde ! cria Geoffrey en frappant
d’un coup de pied une chaise qui traînait, là.
- Qu’est-ce qu’il veulent ? Qu’on
leur rende ce qu’on leur a pris ? Nous dénoncer à la police ?
demanda Sylphide.
Je fis signe non de la tête et répondis
avec difficulté :
- Ils veulent… ils veulent un dîner…
- Un dîner ? répétèrent-ils en cœur.
- Un dîner… et une chevalière en
argent…
- Je l’ai donné à J.R., dit Sylphide
en se tenant le visage dans ses mains, s'obligeant à ne pas fondre
en larmes.
Mes forces m’abandonnèrent et la
fatigue me fit soudainement plonger dans un profond sommeil. À mon
réveil, Geoffrey et Sylphide étaient assis à la même table où
mon frère reçut mes confessions. L’anxiété pouvait se lire sur
leur visage. Les remèdes de Sylphide faisaient effet et la douleur
devenait peu à peu plus supportable.
Je me relevai doucement :
- J’ai dormi longtemps ?
Mais mes amis ne répondirent pas. Les
aiguilles de ma montre, posée sur le guéridon à coté de ma couche
affichaient vingt heures passées.
- Bon, on fait comment pour y aller ?
demandais-je.
- Ils sont déjà là Ethan… dit
Geoffrey en pointant une des fenêtres du doigt.
Je me levai prudemment et m’approchai
de la vitre. Dehors se tenait le carrosse que nous avions vu sortir
de la demeure maintes et maintes fois. Ce soir cependant, il était
là pour nous…
Quelques minutes plus tard nous
sortions de notre repère, dérangés par l’atmosphère lugubre que
dégageait le village pourtant si tranquille, dans lequel nous nous
étions installés. Toute âme semblait avoir disparu et le coin
entier était plongé dans le noir. Étaient-ils au courant de ce que
représentait ce carrosse ? A qui il appartenait ? Où nous menait-il
? Nous ne le saurons jamais…
Après un voyage chaotique dû à
l’archaïsme de notre véhicule, nous arrivâmes devant le domaine
de la famille Déjulii. Le carrosse stationna devant une petite arche
sur le côté du château et lorsque nous descendions de celui-ci,
une voix nous résonna à tous dans la tête :
- SUIVEZ-LE…
L’un des cochers arracha ses liens
de lin et se mit à déambuler devant nous, avec autant d’équilibre
qu’une marionnette.
Il traînait le pas et ouvrit la seule
porte qui nous était accessible, saisissant un chandelier qu’il
trouva dans le petit débarras.
Le chemin fut long ( long car notre
guide rampait plus qu’il ne marchait, perdant des morceaux de lui
durant son périple ). Soudain, il s’arrêta devant une grosse
porte de bois et à ce moment, mon frère se pencha à mon oreille :
- Je suis déjà venu ici. C’est là
où j’ai assisté au repas fantôme…
- Calme-toi, lui-dis je, et faisons en
sorte que ça ne dure pas. Suite à cela, mon frère posa la main sur
mon épaule tandis que la porte s’ouvrit.
- ENTREZ ! nous dit une voix qui nous
terrifia, car il s’agissait de celle-là même qui nous ordonna de
suivre le cadavre.
- Il y a bien longtemps que nous
avions eu d’invités ici, n’est-ce pas Thibalt ? dit un vieil
homme grand et horriblement maigre.
Sa peau grisâtre se flétrissait par
endroit, sur ses oreilles pointues, son crâne dépourvu de cheveux
ou encore sa nuque, creusée par de nombreuses rides. Lui et Thibalt
ricanaient silencieusement.
- Allons Laura, tu ne nous présentes
pas ? proposa le vieil homme.
Tout autour de la table se tenaient
des sièges ressemblant à des trônes dont le dossier finissait en
pointe. Devant nous, l’un d’eux s’écarta de la table et se
tourna dans notre direction. Mon amour avait un visage accablant de
tristesse, comme si elle s’en voulait de nous voir en si pitoyable
situation. Pourtant, je ne pus m’empêcher de lui esquisser un
sourire qu’elle ignora parfaitement. Elle restait néanmoins
magnifique dans sa longue robe de soie rouge.
- Ethan, je vous présente Octavius,
mon père. Lucrèce ma mère – elle désigna une femme âgée aux
courbes généreuses – et mon frère, Thibalt.
Il dessina sur son torse la cicatrice
qu’il me laissa la nuit dernière, se caressant la lèvre de sa
langue.
Le vieil homme avança vers moi sans
que ses jambes ne firent de mouvement.
- Tu as raison Thibalt ! Il a un air
d’une arrogance insoutenable. Comment as-tu fait pour ne pas le…
- PERE !!! cria Laura.
CLAC
Octavius n’avait fait que lever la
main, mais le visage de Laura partit sur le coté, la rougeur d’une
main griffue marquée comme au fer rouge.
Puis, il s’approcha de Sylphide.
- Ton nom ?
En guise de réponse, notre chère
amie lui cracha au visage et, alors que je m’attendais à de
violentes représailles, notre hôte regagna sa place et d’un
revers de bras, trois des sièges s’écartèrent comme par magie.
- Prenez place…
Sans que nous ne puissions faire quoi
que ce soit, nos corps se mouvaient d’eux-mêmes et s’assirent.
Bien que la table était extrêmement longue, nous n’en n’occupions
qu’une toute petite partie. Aussi, je me retrouvais à coté de
Laura, Sylphide de Thibalt et Geoffrey devant Lucrèce…
- Avant que nous portions un toast, je
vais vous expliquer ce que j’attends de vous… Restez jusqu’à
la fin de notre dîner sans prononcer une parole et nous nous
quitterons, bons amis, dit le vieil homme.
- C’est… c’est tout ? demanda
Geoffrey.
- C’est tout… répondit le maître
de maison avant de se lever.
Il saisit un calice au pied d’étain
et proféra ces quelques mots :
- À nos invités !!!
La mère et le fils répétèrent les
mêmes paroles et nous les vîmes s’emparer des calices et boire
goulûment leur contenu. À les voir ainsi, on aurait dit qu’ils
buvaient de l’ambroisie mais le liquide qui dégoulinait de leurs
lèvres était écarlate…
- Du sang… murmura Sylphide en
regardant les manières peu nobles de son voisin.
Je regardais Laura qui porta la coupe à
ses lèvres et bût presque avec réticence. Notre objectif étant de
parvenir au bout du dîner, je décidai donc d’imiter mes hôtes.
Sous le regard pétrifié de Geoffrey, je bus une gorgée.
« Du vin », arrivai-je à
leur faire comprendre. Tandis qu’ils y goûtèrent, le vieil homme
posa son calice devant lui suivi du reste de sa famille, tous
essoufflés à l’exception de Laura qui essuya une goûte
dégoulinante sur son menton.
- Corrompue par la vanité, juste ce
qu’il faut… dit Lucrèce mimant le même geste que sa fille.
- Tu ne t’attendais tout de même
pas à de l’Ichor ma chérie ? répondit Octavius échangeant un
sourire avec sa femme.
Il fit claquer ses mains et un énorme
plateau d’argent apparut au centre de la table qui s’avança vers
nous lorsque le vieil homme grattait la nappe blanche de l’ongle de
son index. Bien que recouvert d’une énorme cloche des relents de
sang frais s’échappaient des interstices du plat.
Thibalt se leva et ôta le couvercle
avec force, dévoilant sur toute la longueur du plateau une quantité
importante de pièces de viande, crue. Le dégoût me serra la gorge
et j’endurai plusieurs haut-le-cœur difficilement contrôlables,
lorsque nous subissions la sauvagerie des trois carnassiers se jetant
sur le festin. Laura quant à elle se leva et sans une parole, sans
un regard, quitta la table repue du verre qu’elle venait d'avaler.
Alors que je m’apprêtais à faire de même, le vieil homme, un
morceau de chair ensanglantée coincée entre ses longues canines,
grogna et me fit signe de ne pas bouger.
Mes amis goûtèrent le met non sans
réticence tandis que je buvais encore un peu de vin. Quand soudain,
la tête me tourna violemment…
- Thibalt, as-tu retrouvé cette
chevalière d’argent qui t’a été dérobée ? demanda Octavius.
Mon cerveau semblait vouloir
s’extirper de mon crâne encore et encore…
- Hum… hum… Le jeune homme cracha
un morceau qu’il contenait dans sa bouche et y extirpa quelque
chose de brillant.
- À l’instant père. On dirait que
je me suis inquiété pour rien… ricanait-il.
Les yeux de Sylphide s’écarquillèrent
lorsqu’elle ramassa le bout de chair que venait de rejeter Thibalt.
- C’est… un doigt ! dit-elle en se
levant, tremblant de tous ses membres lorsqu’elle comprit ce
qu’était le festin, ou plutôt, qui était-il.
- J.R ! hurla-t-elle avant de se
retourner et vomir ses tripes sur le carrelage de la salle à manger.
Je voulus me lever mais ne compris ce
qui m’arriva. Ma tête me tournait de plus en plus. Je ressentais
l’ivresse sans bénéficier de l’euphorie, laissant place à des
formes de delirium. Je pouvais à peine entendre et mes yeux voyaient
sans que mon cerveau n’enregistre les données… Puis de l’air
froid, la sensation d’être traîné, poursuivi, pour finir dans un
calme de mort.
-
Je faisais des cauchemars horribles,
tantôt de spectres m’arrachant le visage et buvant mon sang,
tantôt de maisons aux allures de labyrinthes dont je ne trouvais pas
la sortie.
Secoué par quelques soubresauts, mon
esprit s’assainit et il me fallut beaucoup de temps pour que je
réussisse à me demander combien de temps j’étais resté dans cet
état végétatif…
- Deux semaines. Ça fait deux
semaines que je te veille jour et nuit. Le teint de mon frère était
cadavérique.
- Que s’est il passé ?
- On n'avait aucune chance Ethan ,
aucune. Je ne sais même pas comment tu as survécu à leur poison…
- Hey, on ne se débarrasse pas d’un
Hope comme ça ! j’eus le privilège de voir mon frère sourire,
bien que le moment ne s’y prêtait absolument pas.
- Où est… Où est Sylphide ?
ajoutais-je.
La mine basse, mon frère répondit :
- Thibalt l’a emportée. Il l’a
mordue à la nuque et l’a entraînée je ne sais où.
Soudain, il se mit à pleurer.
- Toute les nuits, elle m’appelle…
« Geoffrey , pourquoi tu ne viens pas ? », « J’ai
si froid »… J’entends sa voix transpercer les murs,je n’en
peux plus Ethan , je n’en peux plus ! finit-il par souffler.
Je cherchais désespérément un moyen
d’apaiser sa douleur, mais cela équivalait à se heurter à un
mur. Avant que je ne puisse dire un mot, mon frère poursuivit :
- J’y suis retourné, seul.
La stupeur pouvait se lire sur mon
visage, alors Geoffrey ne se fit pas attendre :
- C’était une nuit où ses appels
au secours me vrillaient le cerveau… Alors avant de devenir fou je
me suis équipé de tout ce que j’ai pu trouver tout en improvisant
des armes avec divers outils qu’on a laissé dans cette planque.
Puis je suis sorti et j’ai marché, longtemps, tout en ruminant de
quelle façon je pourrais les massacrer, un à un. Je suis arrivé
dans la forêt, franchi le portail et me suis arrêté devant le
château, un petit moment… puis j’ai fait demi tour.
- Tu as fait demi tour ? demandais-je.
- Tu dois y retourner Ethan, une
dernière fois, pour elle.
À ce moment, je ne pensais pas à
Sylphide. J’avais l’image de Laura qui se dessinait en moi,
accompagnée de tous les sentiments que je ressentais pour elle.
Je voulais accomplir cette ultime
tâche seul. Aussi, une semaine plus tard, je renvoyai Geoffrey chez
nous, loin de ce paysage que nous ne reverrions.
Nous étions en été à présent.
Bien qu’en fait j’ignorais le temps réel que nous avions passé
ici ( car le temps semblait se dérégler chaque fois que nous
foulions ces terres ), je savais néanmoins reconnaître la douceur
des derniers rayons du soleil qui caressaient mon visage, guidant mon
trajet de longs rubans de lumière orangée, avant de disparaître
tardivement sous l’horizon. Je n’avais jusqu’alors jamais
remarqué la beauté du paysage, les ruisseaux traversant les bois,
les grandes étendues de pins, ou encore les montagnes majestueuses
s’élevant à perte de vue…
Alors que je pénétrai dans cette
forêt qui n’avait plus aucun mystère pour moi, j’observai
néanmoins un net changement des environs.
L’obscurité s’était quelque peut
dissipée, ainsi que l’impression d’être cerné par des arbres
menaçants. La forêt ne murmurait plus.
J’arrivai devant le portail que je
trouvai ouvert, puis continua mon chemin.
Il me fallut du temps pour arriver à
croire ce que je vis. Le chaos régnait à présent en maître sur le
château. La tour cylindrique n’existait plus que par un tas de
pierres effondrées, et le bâtiment central était éventré à
plusieurs endroits. Seul le pavillon restait présentable, bien que
dépourvu de ses fenêtres, à l’exception de celle de la chambre
de Laura. En toute hâte, je gravis les escaliers brisés, par
l’unique chemin qui s’offrait à moi, si périlleux soit-il.
Mon cœur s’emballait, je ne
comprenais le sens de tout ceci. La lourde porte aux bas reliefs
avait entièrement disparue et je courais en direction de la chambre
tant visitée auparavant. J'avais peur de ce que j’y trouverais, ou
plutôt, de qui je ne retrouverais pas. Oui, de la galerie il n’en
restait que le nom et les marches qui me menaient à la chambre de
Laura ne scintillaient plus. D’ailleurs, l’escalade me parût
plus courte car celui-ci ne comptait en fait qu’une dizaine de
marches tout au plus. J’entrai avec une certaine appréhension dans
la chambre et ne vis rien d’autre que la désolation et une série
d’objets posés à même le sol, comme si ils m’attendaient. Mes
genoux heurtèrent le sol poussiéreux et je saisis une feuille de
papier très bien conservée. Un peu comme si quelqu’un était venu
quelques secondes avant moi pour la déposer. Il s’agissait à
première vue de la copie d’un texte d’opéra en Allemand et daté
de 1865 : Tristan et Iseult. La signature était elle en français.
« Laura , éternellement votre :
Ludwig Schnorr von Carolsfeld »
Je posai le papier pour ensuite saisir
un tableau. Le portrait de ma Laura y était peint de manière
sensuelle. Elle portait des ailes d’ange et était vêtue d’une
longue toge qui, ouverte à la poitrine, découvrait son sein gauche.
Elle était représentée assise contre une souche, tenant une pomme
dans la main et entourée d’angelots rieurs. Lorsque je retournai
celui-ci, il y était gravé :
Ritratto XXII de Laura
M.M da Caravaggio
Bien que refusant la vérité, je
commençais à mieux comprendre ce qu’il en était.
J’éparpillai le reste de divers
document, fis tomber une bouteille de parfum gravée au nom de ma
belle, pour au final saisir une lettre grossièrement griffonnée :
Parce
qu’il est dans la nature de chacun de se nourrir, pardonnez-moi
Ethan. Ne cherchez jamais à me revoir et ne gardez de moi que le
souvenir de notre première nuit.
Laura
Déjulii.
J’écrasai le petit bout de papier
contre mon cœur et laissai s’échapper toutes les larmes qu’il
m’eut été possible de verser. J’avais aimé, pour la première
fois de ma vie. Un amour interdit, banni des lois qui régissaient
son monde et le mien. Aussi, je savais qu’il me faudrait payer de
mon âme cet acte contre nature…
Alors je restais là, prostré sur le
sol de la chambre à attendre ma sentence durant des jours et des
jours. Ce n’est que lorsque seule ma peau ne collait plus qu’à
mes os et que toute l’eau de mon corps s’était échappée par
mes glandes lacrymales, qu’elle fit son apparition.
Je n’eus aucun mal à la
reconnaître. Semblable aux contes de mon enfance, un squelette
flottant dans sa longue robe noire déchirée, volant au dessus de
moi, attendait que mon âme se libère de mon enveloppe charnelle.
Mais, la mort est impatiente :
« Si ton âme ne se libère
pas, c’est que tu as commis quelque chose d’impardonnable. Pire
qu’un homme qui se donne à moi, tu m’as aimée… À compter de
ce jour et ce jusqu’à la nuit des temps, tu me serviras et n’auras
pour seule récompense que l’enveloppe charnelle que tu auras vidé
de toute vie… »
De sa main osseuse, elle arracha un
pan de sa robe et m’en revêtit. Elle me dota d’un bec crochu
pour arracher les âmes qui résisteraient à leur départ, et
m’affubla de griffes pour les transporter jusqu’à elle… Je
partageais alors le reste de mon cadavre avec quelques unes de mes
semblables afin d’effacer toute trace d’Ethan Hope.
Puis, sous le vent des plumes noires,
ma nouvelle apparence prit son envol.
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