Född Förlorare

Född Förlorare


« Né perdant », le plus violent des contes proposés. Cru, malsain, vulgaire, il est mon Orange mécanique infernal, qui mérite un peu plus d'explication de ces trois derniers adjectifs. Ma première vision du film l'exorciste ( à un âge non approprié ) a été un véritable choc pour moi. Après plusieurs nuits à ne pas avoir fermé l’œil, je me passionnais pour l'histoire de Regan. À l'époque, les facilités d'internet n'existaient pas, et il m'a fallu du temps pour pouvoir lire des documents concernant Robbie Mannheim, jeune garçon de treize ans dont l'histoire inspira le livre « The Exorcist » de William Peter Blatty. Cependant, raconter un énième cas de possession ne me suffisait pas, et je décidai de prendre l'histoire « à l'envers ». Comprenez : suivre l'histoire d'un démon. C'est donc en m'inspirant d’œuvre comme la Divine comédie de Dante, que j'envoyai un esprit parcourir les Enfers jusqu'à un cas de possession. Un conte réservé à un publique averti... 

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Le bar du quartier de Fleet-Street était bien vide ce soir là. Le tenancier, plongé dans ses cahiers de comptes, ne prêtait guère attention aux trois piliers de comptoir qui noyaient leur journée d’ouvriers dans le fond de deux ou trois chopes de bière. En toute logique, aucun d’entre eux n’accueillit avec enthousiasme le grand noir qui venait d’enfoncer la porte, ruisselant des gouttes d’eau d’une pluie abondante tombant à l’extérieur de l’établissement. L’homme approcha du comptoir en boitant, comme si ses chevilles n’arrivaient pas à soutenir sa musculature imposante. Ou peut-être était ce dû à l’énorme mallette qu’il portait difficilement.
- Patron ! Triple dose de vodka…
Sans quitter ses précieuses pages des yeux, l’homme saisit un verre de taille moyenne de sa grosse main velue, le secoua tête en bas pour en faire tomber les deux cafards qui y avaient élu domicile et finit par verser une large quantité d’alcool « made in Russia ».
Alors qu’il allait porter le verre à sa bouche, un petit sifflement détourna l’attention de celui-ci. Dans le fond de la salle, un individu semblait l'attendre.
- Hey, French boy ! Ça fait plaisir de voir que tu tiens parole !
L’homme posa ses énormes fesses sur une maigre chaise de bois grinçante.
- Toujours au Gin à ce que je vois ! se moqua-t-il.
- T’en as mis du temps bordel, qu’est-ce que t’as foutu ? interrogea un homme à la chevelure rousse vêtu d’un costume bon marché, cachant son visage derrière un vieux journal datant d’une semaine déjà.
- T’as vu le temps qu’il fait dehors ? Tu crois que c’est facile de trimbaler ce merdier du quartier de Limehouse jusqu’ici ? répondit-il en tapotant son fardeau.
- D’ailleurs, t’as le pèze ? murmura-t-il en approchant son visage de son interlocuteur.
- Je veux voir la came d’abord, répondit le rouquin.
Le black souleva la mallette et la laissa s’écraser sur la table en faisant sauter les verres.
- Pourquoi m’avoir donné rendez-vous dans un endroit aussi crade ? demanda-t-il en libérant d’un double clic les verrous qui retenaient enfermés l’intérêt du rouquin.
- Parce que c’est un bel endroit pour se fondre dans la merde…
- Attention à ne pas aller trop loin French boy… Dans ce milieu le respect à une place primordiale si tu veux te faire un nom, dit le revendeur en refermant ses énormes mains calleuses sur l’ouverture de la boite.
- Je cherche pas à me faire un nom, je cherche juste à me sortir de la mouise, Ramsès.
- Ah, il a retenu mon prénom ! Tu commençais à me faire flipper Adam. Moi j’ai retenu le tien tu sais, j’ai tout retenu de toi. Mais dans notre business, il est plus facile de se faire un nom que de se racheter une bonne conduite, riait-il à gorge déployée.
- Tu parles comme un gros trafiquant alors que tu n’es qu’un simple videur de boite de nuit, mec.
- Ouais, mais tu connais beaucoup de videurs qui peuvent t’avoir… ça ?
Lentement, il ouvrit la mallette et découvrit enfin son contenu, un Remington 870.
- Beau joujou, hein ? demanda Ramsès, en souriant. C’est le même que les policiers de l’oncle Sam mec, crosse pliante, calibre douze, t’as une capacité de quatre cartouches et…
- Je me fous des caractéristiques, j’ai juste besoin qu’on ne tente pas de me résister dès que je le sortirai.
Ramsès éclata de rire :
- Avec un engin pareil, crois moi que personne ne va te résister, frère !
- J’espère bien, parce que je ne compte pas le charger…
- Quoi ? Mais t’es un maso toi, tu veux braquer une banque avec un calibre vide ?
L’étrange acheteur plaqua une main contre la bouche de Ramsès.
- T’as raison, gueule plus fort encore !!! murmura son client les dents serrées en regardant les piliers de comptoir.
Mais les doigts d’acier broyèrent la frêle main pâle et Ramsès ajouta en soufflant :
- Pfff, regarde les... Je crois bien qu’ils ne savent même plus qu’on est là…
«  Hey , patron ! Pou…pou…pourquoi t’écris tout sur des cahiers ? Tu te ferais moins chier si tu avais un orni… un orninateur, nan ?
- Un ordinateur Joe, un ordinateur. Et je t’ai déjà dit que je ne faisais pas confiance en ces putains de machines. Du papier, un stylo et mon poignet… rien de plus. »
CLAC , CLAC , CLAC !
Adam fit claquer ses doigts devant les yeux de son interlocuteur perdu dans ses pensées.
- Oh ! T’es là ?
- Ouais, pardon. Bon et le blé ?
Il reçut un sac de papier plié sur lui-même contre le torse et l’ouvrit avec empressement.
- Cent, deux cents, trois cents… Hey ! On est pas un peu loin du compte là ?
- C’est tout ce que j’ai pu avoir. Mais tu as ma parole que je te donnerai le reste, même plus, après mon coup.
Le visage de Ramsès devint plus sombre et sérieux.
- Pas d’entourloupe mec. Je sais pas mal de choses sur toi et si je n’ai pas l’argent en temps et en heure, j’irai faire un petit coucou à ta femme et apprendrai à ton gosse à frapper à la porte avant d’entrer dans la chambre… tu piges ?
Si il avait été d’une condition supérieure, Adam aurait volontiers défoncer la mâchoire de ce gros porc libidineux. Mais il s’agissait en fait de ne rien faire de stupide qui aurait pu gâcher ses plans. Et de toute façon, un affrontement physique avec ce colosse aurait été complètement absurde.
- Tu l’auras ton pognon ! Dans moins de trois jours je t’aurai remboursé et je me casse dans un endroit libre de la pollution humaine… avec ma femme et mon gosse.
Ramsès ria de plus belle :
- C’est tout ce que je te souhaite, le Français…
Adam se leva en empoignant la mallette et se dirigea vers la sortie, sans un regard vers quiconque de présent dans la salle.
- Hey, attends ! Ramsès interrompit le jeune homme et lança quelque chose en sa direction, rattrapée en plein vol.
- Une cartouche ? Mais je t’ai dis que…
- C’est juste au cas où… T’auras beau jouer les héros, sans haine, sans violence, en face de toi si tu te fais prendre, et tu te feras prendre, t’auras une meute de chiens prête à te décocher une de leurs salopes de balles en pleine tête si tu bronches. Parce qu’ils s’en branlent de ta condition, je voulais être sûr que tu le sache.
Adam glissa la cartouche rouge dans la poche de sa veste.
- Merci Ramsès, j’essaierai de m’en souvenir… Puis le jeune homme sortit du bar, regardant droit devant lui.
- Hey, patron ! J’espère que c’est plus festif les soirs de match vot’ bordel ! cria le grand noir avant de balancer deux billets de dix sur la caisse du barman.
- Garde la monnaie, du-con, grogna-t-il au patron qui souffla son haleine fétide entre ses dents lorsque Ramsès sortit à son tour de l’établissement…
La pluie tombait drue sur Londres et le ciel était plus sombre que jamais, comme si la ville s’apprêtait à pleurer la perte de l’un de ses habitants, ou plus.


Le lendemain , à quinze heures précises, Adam enfila une paire de bas sur son visage et entra dans la banque d’un quartier où il n’avait jamais fichu les pieds, afin d’être sûr de ne croiser aucune personne qui pourrait freiner sa détermination.
- TOUT LE MONDE A TERRE !!!
La panique s’empara des clients et du personnel et tous s’exécutèrent, plus sous la menace que représentait le prolongement armé du bras d’Adam que de ses hurlements.
- BALANCEZ TOUT LE FRIC POSSIBLE LA DEDANS !!! hurla-t-il en jetant un gros sac de sport au visage d’une jeune fille qui sentit soudain un liquide chaud lui couler le long des cuisses.
- MAGNE TOI PETASSE !!!
Il tourna plus d’une fois sur lui même et ajouta :
- LE PREMIER QUI TENTE QUOI QUE CE SOIT, JE LUI FAIS SORTIR TOUTES SES IDEES PAR LE HAUT DE SON CRANE !!!
L’adrénaline lui fit tourner la tête, et bien qu’il se soit totalement « déconnecté », une question lui traversa l’esprit :
« Comment en es-tu arrivé là ? »
Pour y comprendre quelque chose, il faut remonter un court moment en arrière et voyager dans les souvenirs d’Adam…

Arrivé il y a un an et demi en Angleterre suite au décès de son unique parent ( une vielle femme dont la force de l’âge ne résista pas à une tumeur au cerveau et qu’Adam avait pour habitude d’appeler Nany ), il logea chez Alysson, une jeune correspondante du pays qu’il connut lors de ses études et avec qui il garda contact des années durant.
Désormais, Adam avait vingt-quatre ans et vivait avec cette même Alysson, dans un petit appartement insalubre d’un quartier commerçant de Londres. Tous deux eurent, deux ans auparavant, un petit garçon prénommé David, et même si les difficultés de la vie ne semblaient pas les épargner, ils réussirent jusque il y a peu à avoir une vie paisible.
Mais tout bascula huit mois avant ce jour. Adam travaillait au noir ( faute de trouver une situation stable ) pour une entreprise de déménagement et se retrouva à la porte à la suite d’un dépôt de bilan de la société. Alysson quant à elle, travaillait comme serveuse dans un café-bar non loin du domicile conjugal. Mais ses maigres revenus ne suffisaient bien vite plus à payer la nourriture, les factures et bientôt le loyer d’un propriétaire véreux qui se permettait même quelques propositions indécentes envers la jeune femme afin « d’alléger » ses dettes – laquelle refusa systématiquement.
Longtemps, Adam se demanda pourquoi les étoiles brillaient si fort pour certains tandis que la sienne restait sombre et qu’aucune main ne lui fut tendue depuis son enfance. On oublia les repas en tête à tête, les petits plaisirs du quotidien et l’anniversaire de David se fit dans la honte de ses parents, sans présent ni friandise.
Les symptômes d’une dépression obscurcirent la vie du couple. Alors, il fallait faire quelque chose…

- GROUILLE-TOI SALOPE !!!
Mais avant qu’Adam ne comprenne quoi que ce soit, une dizaine d’hommes cagoulés pénétrèrent dans l’enceinte de la banque.
- POSE TON ARME ET COUCHE-TOI AU SOL !!! hurla l’un d’eux en pointant un revolver en direction du braqueur.
« Merde, qu’est-ce que je fais là… »
- POSE TON ARME, MAINTENANT !!! réitéra le policier.
« J’ai la tête qui tourne… Non Adam, si ils t’attrapent tu finiras en prison… »
Son pouls s’accéléra et des gouttes de sueur s’insinuèrent entre les bas et son visage.
Et alors qu’il avait l’impression d’étouffer, il revit la scène ou Ramsès lui jeta la cartouche : « Au cas où… »

Une seconde d’hésitation. Et Adam pressa la gâchette. Puis une détonation résonna dans la banque. Dans la douleur horrible du métal creusant son cœur, Adam s’écroula au sol…
- Putain de merde, son fusil n’était pas chargé… dit un agent en donnant un coup de pied dans l’arme qui commençait à s’imbiber de sang.
Les voix et les sirènes s’estompèrent, sa vue se brouilla et dans un soupire, il balbutia :
- P…pardon, Alysson… avant de sombrer, inconscient.

Tout semblait plus léger pour Adam. Posté au centre de la banque, il avait une vue d’ensemble de la scène qui se déroulait sous lui, comme si il pouvait voir sur trois cent soixante degrés.
Un corps était étendu, recouvert d’un drap blanc tandis qu’une pléthore de policiers posaient des questions à l’ensemble des personnes présentes, et que des ambulanciers s’affairaient à ranger le matériel de réanimation.
« Est-ce que je rêve ? »
- On a l’identité du jeune homme ? demanda un inspecteur qui regardait de sa hauteur le cadavre drapé.
« J’arrive à tout voir, à tout entendre… comment est-ce possible ? »
- On a retrouvé ça sur lui inspecteur.
« C’est étrange, on dirait mon porte-feuille… »
Il suffisait à Adam de se concentrer sur un objet ou une personne pour que celui-ci s’en approche, pouvant alors l’observer dans ses moindres détails.
- Adam Rodez… c’est une carte d’identité Française. Pauvre garçon, il a quoi, vingt-quatre, vingt-cinq ans…?
- Chef, comment savez-vous qu’il est français ? essaya un jeune officier de police. Avec son teint pâle et les cheveux roux, j’aurais plutôt dit qu’il était Irlandais moi.
L’inspecteur souffla de lassitude face à l’idiotie du bleu qui l’accompagnait.
- Ma femme est Française et elle a une carte similaire qu’elle a gardé. Une sorte de souvenir.
« C’est de moi qu’ils parlent ! Mais ça veut dire que je suis… »
Un large cercle de lumière blanche et aveuglante se dessinait au centre du plafond de la banque, mais personne hormis Adam ne semblait le voir. Il put néanmoins apercevoir sur quelques visages des petits sourires, comme ci certains d’entre eux pouvaient ressentir les bouffées de bonheur et de douce chaleur qui émanaient du halo pour envahir les lieux, ainsi que l’esprit du jeune homme…

-

« Il s’agirait d’un jeune homme de nationalité Française d’une vingtaine d’années qui s’est introduit dans la banque en milieu d’après-midi, armée d’un fusil à pompe. Selon les témoins, il avait le comportement d’un homme nerveux et déterminé. La police est arrivée sur les lieux peu de temps après et c’est là qu’un coup de feu aurait été tiré par l’un des agents de police. Autour de nous, beaucoup utilisent le mot « bavure » pour qualifier cette intervention car, toujours selon les témoins, l’arme n’était en réalité pas chargée. Rappelons que le jeune Adam Rodez n’était pas connu des services de police… »
Les yeux rougies de larmes, Alysson éteignit l’écran de télévision et s’allongea sur le canapé.

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La lumière blanche inondait un paysage qu’Adam ne pouvait décrire tant il ne ressemblait à aucun panorama connu du commun des mortels. Il se sentait flotter sur des nuages de douceur, ne ressentant plus le mal, la fatigue ou tout autre désagrément de la vie terrestre.
Le jeune homme progressait dans cet environnement en flottant dans l'air.
Puis, une forme familière apparue dans un souffle.
- Nous ne t’attendions pas si tôt…
Adam aurait sans doute pleuré d’émotion en plongeant dans les bras de son unique famille, si il avait pu.
- Nany ? Nany, c’est toi ? Tu es… magnifique ! dit-il, émerveillé par sa présence.
- Oui c’est moi, enfin, ce qu’il reste de moi, répondit-elle alors d’un sourire réconfortant.
En effet, la figure maternelle d’Adam se tenait devant lui sous une forme fantomatique dépourvue de jambe, flottant dans l’atmosphère immaculé.
- Suis-je… mort ? demanda Adam qui avançait en compagnie de sa Nany en direction de trois portes grillagées faites de brume légère.
La première donnait sur un immense jardin luxuriant, la deuxième vers un escalier qui s’assombrissait à mesure qu’il descendait et la troisième, était la destination des deux âmes allant à la rencontre d’un vieillard encapuchonné de blanc.
- Ton enveloppe charnelle est morte, oui. Ton véritable moi renaît en ce moment même sous sa véritable forme. Nous sommes un peu comme… des papillons, vois-tu ?
- Pourquoi je n’arrive pas à pleurer ? J’ai l’image des miens restés en bas…
- Pas en bas Adam. En bas vivent les révoltés. Pour les terrestre, nous appelons ça « l’autre côté ».
Quelque chose d’étrange se produisit en Adam, une petite tache noire là où était son cœur d’humain apparue, sans que sa Nany ne s’en aperçoive.
- Alors pourquoi ne puis-je pleurer, ou rire ? Je n’en sens ni la force ni l’envie, je ne ressens rien je suis juste… bien.
Nany sourit à nouveau :
- C’est grâce à elle !
Elle pointait de son doigt spectral une petite sphère bleue qui dansait autour du jeune homme.
- Qu’est-ce que…
- C’est ta conscience, Adam. Quand ton âme se libère de ton corps, la petite voix qui te suivait partout et guidait tes choix se matérialise et restera à tes cotés le temps de ton passage devant eux, avant d’être rangée avec les autres dans les souvenirs du créateur.
Mais Adam s’étonnait :
- Qui ça eux ? Quel passage ?
Cependant, il ne réussit pas à avoir de réponse car arrivé devant la porte, la vieille dame s’adressa au gardien, toujours avec ce même sourire d’automate qui en fait, ne s’était jamais réellement défigé.
- Je viens présenter Adam Rodez pour son passage, Pierre, dit-elle.
- Adam Rodez… Oui, ce sujet les intéresse beaucoup et ils ne cachent pas une certaine discorde entre eux…
- Une discorde ? Mais je…
- Bon courage petit !
Avant de pouvoir en demander d’avantage, l’âme du jeune homme fut aspirée à travers la brume de telle sorte qu’il lui était impossible d’échapper à cette attraction.
Bien que dépourvu de corps, Adam avait la sensation qu’un air d’une pureté inégalable lui fouettait le visage. Après plusieurs acrobaties aériennes, l’esprit du jeune homme chuta délicatement au centre d’une vaste pièce carrelée de marbre blanc, s’ouvrant sur un paysage montagneux car dépourvu de mur.
- Surtout, ne parle que lorsqu’ils t’y autoriseront…
Adam cherchait partout d’où pouvait provenir cette voix si… familière. La petite sphère bleutée tournait autour de lui en des mouvements désordonnés, donnant à Adam la sensation qu’elle ressentait le stress qu'il éprouvait.
- C’est vraiment étrange de voir sa bonne conscience devant soit, murmura-t-il.
La sphère s’agitait de plus belle.
- Je ne suis ni bonne, ni mauvaise. Juste un guide pour toi et je vais faire en sorte que tout se passe bien devant tes juges.
- Mes juges ? s’étonna Adam. Je ne savais pas qu’il devait y avoir un procès !
- Bien sur qu’il doit y en avoir un, sinon comment faire la différence entre les bonnes âmes et les révoltés ? répondit-elle.
Un grondement résonna soudain dans la salle.
- Ah, ils arrivent !
- Attends, je n’ai jamais pratiqué de religion aucune, comment saurais-je à qui je m’adresse et comment je dois le faire ?
- Chut… ne parle pas, je communiquerai avec toi par pensées… chuchota-t-elle enfin.
Au loin, Adam vit trois des montagnes colossales s’approcher du centre de la pièce.
Et alors qu’il mimait une grimace craignant un choque inévitable, il se rendit compte qu’elles étaient dotées de bras, d’un corps immense et d’une tête au visage inexpressif, autour desquelles gravitaient de petits corps d’enfants pourvus d’ailes. Et ce qu’il prit en fait pour des montagnes se révélaient être :
« Des êtres divins. Ils sont les protecteurs de notre Saint Créateur et ce sont eux qui vont décider de ton futur ».
« Vont-ils me poser des questions ? », pensa Adam.
« Non, écoute leurs chants et je te transmettrai leurs significations » répondit-elle.
Un son commun au chant des baleines résonnait avec puissance à travers le paysage.
Le colosse de gauche ressemblait à un fier combattant et son chant était lourd et franc. Celui du milieu avait une corpulence plus fine que les deux autres et son chant plus fluide, doux et réconfortant, faisait penser à Adam qu’il s’agissait peut-être d’une figure féminine. Enfin, le troisième était comme un mélange des deux. Son chant, mélodieux mais persuasif, contrebalançait avec ceux des autres.
« Adam, ils disent que tu as eu une vie terrestre peu reposante et que pour cela tu aurais droit au repos éternel et avoir les réponses à toutes tes questions ».
« Je suis heureux de te l’entendre dire », pensa-t-il.
« Attends, ce n’est pas tout… »
Les chants s’entrecroisaient, de plus en plus intenses et puissants. Les entités semblaient être en désaccord.
« Ils disent que ton dernier geste sur terre ne doit pas rester impuni ».
« Non, attends dis leur que… »
« Ils disent que ce n’est pas moral et que ton cœur noircit ».
Adam regardait la petite tâche sur son cœur qui grandissait à vue d’œil.
« Je… je regrette mais il fallait que… »
« Ils disent que tu n’as pas d’excuse ».
« Je sais mais… »
« Ils se mettent d’accord. Nous allons faire pénitence tous deux en bas… »
« Non je ne veux pas, c’est injuste, c’est impossible !!! »
- JE REFUSE !!!
Les angelots qui gravitaient autour des géants s’enflammèrent et tombèrent comme des charbons ardents contre les carreaux du sol avec grand fracas, sous des hurlements insoutenables. Adam quant à lui sentit pour la première fois depuis son trépas la colère monter en lui, tandis que la tâche noire de son cœur recouvrait presque intégralement sa forme fantomatique.
- Il n’y a donc pas de justice dans le monde que vous avez créé…
Les Titans se figèrent et commencèrent à craqueler comme de pauvres créatures d’argile.
- Les étoiles ne brillent-elles donc que pour les profiteurs et les assassins ?
Leurs visages s’effritèrent et tombèrent en morceaux sur le carrelage…
- Où est votre dieu face aux souffrances de ses créations ? Où est-il quand ses agneaux meurent dans la peine ? L’amour de votre dieu sépare les familles, fait des orphelins et des parents perdent leurs enfants à cause des maladies. Votre monde n’est que mort et désolation… vous êtes… maudits…
Les morceaux restant des êtres saints tombèrent en blocs et fracturèrent le sol en énormes gouffres, formant une gigantesque mâchoire vomissant des flammes et des cendres. La bouche s’ouvrit dans un grognement infernal et Adam plongea dans les abysses du Monde d’en Bas, happé par les âmes damnées…

La chute fut longue pour l’esprit du jeune homme qui retrouva peu à peu un aspect matériel, ressentant le goût de la douleur chaque fois que son corps heurtait un pic rocheux, ou qu’une roche incandescente lui frappait le visage.
Au bout de quelques mètres, le corps nu d’Adam tomba sèchement sur le sol brûlant du Bas Monde. Bien que le choc fut brutal et atrocement douloureux, Adam remarquait qu’aucun fluide vital ne s’écoulait de son corps. La bouche aride, il se releva péniblement.
Le monde autour de lui avait radicalement changé. La fraîcheur s’était dissipée rendant l’air suffocant par les vapeurs de souffre. Plus de douce lumière et de blanc pur. La chaleur torride ainsi que les dégradés de rouge, jaune et orange prédominaient un décor recouvert par un ciel noir…
- Nous sommes en bas, nous sommes aux…
Adam se retourna et aperçut cette forme sphérique qu’il avait un peu oubliée. Devant lui, sa conscience avait diminué de taille et sa couleur était plus sombre.
- Tu m’as suivi ? demanda Adam avec un air de soulagement dans la voix.
- Nous sommes liés à jamais, Adam, répondit-elle avant d’ajouter :
- Je sens la facilité et l’excès en ces lieux, nous devrions nous méfier.
Les deux êtres marchèrent longtemps, traversant une pleine parcourue d’artères de magma où Adam trouva une tunique qu’il arracha à un cadavre squelettique pour s’en vêtir. Escaladant par la suite un mont dont chaque obstacle lui arrachait la peau, il surplomba de hautes falaises et vit une armée de ses semblables :
- Où vont ces gens ? demanda Adam en regardant plusieurs files de personnes qui convergeaient toutes vers le même endroit, au loin.
- Ils vont tous tenter de traverser le Styx, Charon les y attend…
Derrière Adam se tenait un démon haut comme deux hommes à la peau noire, une tête d’aurochs plantée au milieu de deux épaules aussi larges qu’une enclume.
- N… n’approchez pas ! hurla le jeune homme terrifié.
- Plus bas misérable, plus bas, souffla le monstre.
Les yeux d’Adam descendirent le long du corps de l’animal pour s’arrêter sur un visage presque humain, situé en lieu et place des organes génitaux de l’être démoniaque.
- Qui êtes vous ? murmura Adam devant cette abomination.
- Je suis Moloch, ton guide. Le Porteur de Lumière m’a chargé de te mener jusqu’à Pandémonium, afin que tu le rencontres… dit-il en se retournant.
- Le Porteur de Lumière ? s’interrogea Adam.
- Notre maître à tous… répondit le démon, martelant le sol de ses sabots.
- Et Pandémonium ! Qu’est-ce que c’est ? cria le jeune homme.
- Pandémonium est la capitale de ce monde, là où ils t’attendent tous... Le démon prit le bras d’Adam et l’entraîna de force sur la route.
- Attends, je voudrais savoir…
Mais Moloch lui coupa la parole :
- Plus de question maintenant. Pas avant qu’on se soit débarrassé d’elle…
« De qui parle t-il ? », demanda Adam à sa conscience.
« Je n’en sais rien, il ne m’inspire pas confiance », répondit-elle par pensée.
Mais dans la surprise générale, Moloch intervient violemment, grondant avec deux voix différentes en une seule :
- VOS GUEULES !!! ET TOI, ARRETE DE LUI PARLER !!!
- Dis moi au moins où l’on va ? essaya le jeune garçon.
Et le démon devenu étrangement serein, riait à présent avec une voix d’enfant :
- Devant le chaudron de Céridwen…

Moloch conduisit longuement ses visiteurs à travers le Bas Monde, rencontrant çà et là des corps plaintifs cherchant la repentance pour lesquels le démon ne montrait aucune pitié, allant même jusqu'à les torturer avec un plaisir non dissimulé. La marche semblait être une épreuve pour Adam. La peau sous ses pieds s’arrachait au contact du sol brûlant, mais repoussait systématiquement.
Après plusieurs kilomètres, ils arrivèrent devant un autel en ruine. Un pentacle était gravé à même le sol et les colonnes, bien que détruites, révélaient une étrange scène semblable à un rituel.
- Voilà Céridwen.
Moloch désigna une vieille femme recouvert de haillons au centre de l’autel qui mélangeait sans cesse le contenu d’un chaudron de fer gigantesque, à l’aide d’une énorme louche.
Le Démon expliqua :
- Céridwen était une très belle femme et une puissante magicienne. Mais lorsque le bâtard du créateur est descendu sur terre et que les hommes ont renoncé à leurs anciennes croyances, ils ont condamné leurs paires à une servitude éternelle. Ils ont traqué et tué leurs anciens dieux qu’ils appelèrent des païens. Vois ce qu’ils sont devenus maintenant…
Lorsque la sorcière leva les yeux, Adam se rendit compte qu’elle était aveugle et sa langue et ses oreilles n’étaient plus. Aussi, elle restait là à mélanger son bouillon.
- Tu m’as dit qu’il fallait que je me débarrasse d’elle ? Mais que m’apportera la mort de cette vieille femme ?
Le démon se mit à rire grassement.
- Je ne te parlais pas de Céridwen, mais de ça !
Moloch pointait de son doigt velu la conscience d’Adam qui tournait et se retournait dans les airs.
« Ne l’écoute pas Adam, si tu me détruis, il te manipulera à sa guise ! »
- Mais je ne compte pas la détruire ! Enfin, il n’y a pas de raison ! dit Adam en proie à la panique.
- Tu dois le faire pour entrer dans Pandémonium ! grogna le démon.
- C’est hors de question, je ne détruirai pas ma conscience… répondit le jeune homme en baissant la tête.
- C’est dommage, ne veux-tu pas savoir ce qui est arrivé à Alysson après ta mort ? la voix de Moloch se faisait plus séduisante, ce qui ne manqua pas d’ébranler Adam.
- Alysson ? Comment puis-je la voir ? demanda-t-il avec un profond intérêt.
« Adam, non ! C’est un piège ! »
- Approche… dit Moloch en le prenant par l’épaule, le conduisant au dessus du chaudron.
Le bouillon était un mélange de liquide noir et mauve qui tourbillonnait sous les assauts circulaires de la louche de Céridwen. L’intensité des flammes faisait soulever le liquide par vagues bouillantes hors du récipient.
Un vent chaud se leva soudain, balayant la poussière du sol contre le visage d’Adam qui se protégea les yeux.
- Tu veux savoir où est ta femme en ce moment ? Veux tu savoir ce qu’elle fait à l’heure où toi tu souffres ici ?
Moloch saisit la tête du jeune homme…
- ALORS REGARDE !
et la plongea dans l’eau du chaudron, sous les cris futiles d’avertissement de sa conscience.
Les hurlements de douleur d’Adam restèrent prisonniers du récipient tandis que Moloch contrait chacune de ses tentatives de dégagement.
Lorsque le liquide eut fini de ronger son visage et que son corps ne bougeait plus, Adam fut comme aspiré à l’intérieur du chaudron et se retrouva projeté dans l’appartement qu’il occupait de son vivant, regardant l’ensemble de la scène vide de toutes couleurs.
David, son fils, était assis dans le petit couloir devant une porte close et l’émotion submergeât Adam qui faute de vie, ne réussit à pleurer malgré l’envie.
- David ? David, c’est papa mon bébé ! lança-t-il en s’accroupissant.
L’enfant courut vers lui, le transperçant comme un écran de fumée alors qu'Adam cherchait à l’étreindre.
- On dirait qu’il fuit… Moloch se tenait aux côtés d’Adam. Il avait abandonné sa forme d’origine pour adopter celle d’un homme pâle, à la maigreur dissimulée sous une toge aubergine.
- Mais… qu’est-ce qu’il fait ? demanda Adam, ne comprenant pas pourquoi son fils s’était réfugié derrière le canapé du petit salon en se bouchant les oreilles.
- Tout se passe là dedans…
Le démon fondit contre le mur de la chambre du couple, invitant son ancien propriétaire à le rejoindre.
Le béton du mur ne résista pas à l’entrée d’Adam qui pénétra dans la chambre aussi facilement que l’on traverse un brouillard, et ce qu’il à l’intérieur vit éveilla en lui un sentiment de rage. En effet, à quatre pattes sur le lit conjugal, Alysson rugissait de plaisir sous les coups de reins de Ramsès.
- Continue Ramsès, c’est trop bon…
Les doigts d’Adam rentraient littéralement à l’intérieur de ses paumes, sa mâchoire se brisant presque tant il serrait les dents.
« Rien de tout cela ne serait arrivé si elle ne t’avait poussé à le faire… »
La voix de Moloch résonnait à présent dans sa tête.
- J'ai honte, plus fort !!! PLUS FORT !!!
« C’est elle qui t’a soufflé l’idée de faire ce braquage pour t’en sortir... »
Le jeune homme était concentré sur ce qu’il voyait devant lui. Ramsès dominait avec vigueur Alysson, laissant courir sa langue partout sur elle, passant des cuisses à son intimité où encore ses seins. La jeune femme se mordait les doigts de plaisir, cherchant à étouffer un râle orgasmique.
« Si au moins elle t’avait conseillé de charger ton arme… C’est toi qui serais sur elle actuellement et c’est avec toi qu’elle aurait pris son pied… Tout est de sa faute… »
Des gouttes de sueur perlaient sur les deux corps.
« Tu sais ce qu’il te reste à faire... »
Leurs langues se caressèrent.
« Débarrassons nous d’elle… »
- Toi !
La tête d’Adam partit en arrière, éclaboussant Céridwen de sa mixture brûlante. Essoufflé par la colère, le jeune homme saisit la sphère représentant sa conscience et tout en imaginant tenir le cou des deux amants, il serra, encore et encore.
- Adam je t’en prie, tu cours à ta perte…
Dans un hurlement bestial, Adam écrasa entre ses mains la sphère qui explosa en une giclée de sang. Le cri déchirant de l’âme qui en sortit n’atteignit pas le jeune homme qui regardait à présent le démon :
- Conduis-moi à celui qui apporte la lumière ! crachat-il.

Les différents chemins menèrent Adam sur les bords du Styx. Moloch piétina la foule, laissant place nette pour le jeune homme qui avançait vers Charon.
- Qu’as-tu à m’offrir pour avoir droit au passage ?
Adam regarda fixement le corps squelettique qui se tenait en équilibre sur sa barque.
- Donnez moi ça, dit-il en s’emparant de la faux du passeur.
D’un geste sec il s’arracha le visage, hurlant à la mort une nouvelle fois. Car Adam avait parfaitement compris les lois du Bas Monde. La peau pouvait se déchirer, les membres s’arracher, les corps se transpercer, tout redeviendrait normal dès que la douleur disparaîtrait. C’est comme cela que les damnés obtenaient la rédemption : des siècles de souffrance pour espérer quitter ces lieux.
Petit à petit, un visage intact se reconstruisit sur les muscles faciaux du jeune homme.
- Sur cette peau, tu trouveras ce qu’il reste de ma conscience, c’est le prix que je paye.
Le squelette prit la peau fraîchement entaillée et se l’appliqua en guise de masque.
- Montez… dit-il en tendant la main afin d’aider Adam à ne pas tomber dans le fleuve maudit.
La traversée se fit dans le déchaînements des eaux que secouaient les âmes en colère, prisonnières de ce flux constant. À plusieurs reprises Adam manqua passer par-dessus bord, agrippé par des mains décharnées qui cherchaient à s’emparer de lui tandis qu’aucune d’entre elles n’osaient s’approcher de Moloch.
Charon stoppa sa barque qui s’amarra seule, sans aucune aide extérieure. Sans un mot, Moloch sortit de l’embarcation accompagné du jeune homme.
- Une route, ici ? murmura-t-il avec étonnement.
Devant eux se tenait l’unique route de cet endroit faite de pavés, serpentant à perte de vue. Moloch emboîta le pas du jeune homme.
- Que signifie ces inscriptions sur les pierres ? demanda-t-il au démon.
- Ce sont toutes les bonnes intentions que les moutons du Créateur ont essayé et qui ont conduit à des catastrophes humaines, répondit-il.
- Je… je n’arrive pas à lire, dit Adam tout en marchant.
- C’est parce que c’est écrit en araméen, pour que son bâtard puisse lui lire et qu’ils contemplent à eux deux leurs désastres, ajouta Moloch, avant de poursuivre.
- Elle mène jusqu’au pavillon de luxure. Un passage obligé pour entrer dans la capitale.
- Le pavillon de luxure ?
- Tu y apprendras des choses sur ton passé, regarde… Adam et Moloch s’engagèrent à présent dans une allée bordée d’un long grillage doré sur les deux côtés de celle-ci, soutenus par de gros pilonnes de forme phallique.
Des hommes et des femmes hurlaient à force de subir la sodomie pratiquée par des diablotins qui s’activaient comme des machines, partageant leurs victimes entre eux.
Les moins chanceux pouvaient se faire prendre par trois de ces êtres abjectes ressemblant à des lutins cornus comme des boucs, aux organes plus développés qu’aucun homme. Mais il n’y avait pas que des viols qui figuraient dans ce paysage odieux. Plusieurs de ce qui fut autrefois des humains foulant la terre se masturbaient, ou participaient à de grandes partouzes dont il était impossible de calculer le nombres d’acteurs. Ils s’affairaient tous avec passion, comme s’ils n’arrivaient pas à combler leur appétit…
- Ils ne s’arrêteront jamais, si c’est ce que tu te demandes. Voilà le sort qui est réservé à ceux qui se sont vautrés avec gourmandise dans le stupre de leur vivant. Une éternité de pulsions et d’envies sans jamais pouvoir ressentir le plaisir. Comme tu peux le constater, les pénétrations sans fluide vital sont douloureuses pour les femmes et les hommes ne peuvent jouir…
- Mais alors comment se fait-il que…
- L’érection constante ? Moloch éclata d’un rire gras. Une idée tordue du maître des lieux, Asmodée !!!
Alors qu’il continua à marcher dans l’allée, Adam repensa à tout ce qu’il venait d’apprendre et ne put s’empêcher d’imaginer qu’Alysson finirait probablement dans ces cages pendant que Ramsès se ferait déshonorer par les petites créatures aux doigts griffus. Cependant, quelqu’un sortit Adam de ses songes :
- Je reconnais cette bouche, et ces cheveux roux que j’ai tant de fois agrippé…
Un homme rachitique au crâne dégarni suivait les pas du jeune garçon tout en cherchant à en renifler le parfum, comme pour se souvenir de qui il était.
- Adam ? Adam, c’est toi ?
- Tu le connais ? demanda Moloch.
- Comment voudrais-tu que je connaisse quelqu’un ici ? répondit-il tandis que l’homme entrait en transe, se frottant aux barreaux dorés de sa prison.
- Bien sur que si on se connaît Adam, plonge loin, très loin dans ta mémoire…
Il traquait sa proie avec les yeux du dément, ricanant et se frottant de plus en plus fort.
Le jeune homme frappa la grille avec violence.
- Si tu as quelque chose à dire vieil homme, parle. Mais ne me fais pas perdre mon temps ! cria-t-il.
- Vieil homme… murmura le prisonnier avant de poursuivre :
- Tu ne reconnais pas ton oncle Adam ? dit-il en exhibant son membre.
La même rage qu’il avait ressenti lorsqu’il avait vu Alysson et Ramsès s’empara d'Adam et colora ses yeux en rouge.
- Je suis sûr que tu fais erreur, je ne te connais pas, grogna-t-il.
- Je suis sûr que si Adam. Fais-moi plaisir et dis moi que tu en redemandes ! riait le vieil homme en s’extirpant de son milieu, se contorsionnant tel un serpent.
Il courrait comme un dératé vers le jeune homme, qui n’eut aucun mal à l’allonger d’un coup de poing lancé de toutes ses forces contres la mâchoires fragile de son oncle.
Des images incestueuses vinrent alors frapper Adam. Il voyait par bribes un petit rouquin refuser d’aller chez cet oncle méchant, cet homme qui étalait son vice contre son corps d'enfant.
Dans un élan de rage, Adam courut ramasser l’homme qui ne cessait de rire, tout en se masturbant.
- C’est pas ma faute ! C’est ta salope de mère Adam, elle est quelque part dans ce monde tout comme ton fumier de père, trouve-les. TROUVE-LES !
Adam se retourna et plaqua le vieux contre la grille avec une telle violence qu’elle manqua s’écrouler au sol.
- Oui, je me souviens… je me souviens de tout maintenant, lui cracha-t-il en plein visage, avant d'empaler son oncle sur la grille.
- Comment as-tu dis que s’appelait le maître des lieux ? s’adressa-t-il à présent à Moloch.
- Il est le trente cinquième, roi du jeu et des vices, le chevaucheur de dragon, le démon à trois têtes qui commande à la luxure. Il se nomme Asmodée.
Tirant de tout son poids sur les pieds du vieillard, celui-ci s’empala par le fondement pour recracher son pale par la bouche qui lui désaxa la mâchoire.
- Asmodée… susurra Adam. De grands traits noirs semblables à des larmes d’encre sortaient de ses yeux jusqu’au milieu de ses joues, et qui accentua le rouge de ses pupilles. Le Mal figeait en lui ses marques indélébiles.
- Mon frère appréciera sûrement ton présent, Adam, dit Moloch tandis que tous deux approchaient d'une plaine brûlante d’un feu constant.
- Quel est cet endroit ?
- Nous sommes arrivés dans mon territoire, la Géhenne. Le feu qui ne s’éteint jamais !
Le démon présenta une sorte de jardin de feux recouvert de détritus, au fond desquels gisaient sous les lamentations, des hommes, des femmes, des enfants, traînant des cadavres d’animaux.
- Tous sont des présents des hommes. Par craintes, ils m’ont offert des sacrifices, balancé des cadavres de criminels et autres déchets. Leurs âmes m’appartiennent désormais.
À la vue du démon, tous se ruèrent vers lui et implorèrent son nom à genoux. Adam quant à lui ressentait quelque chose de nouveau. Ils craignaient Moloch, et certains d’entre eux en proie à la panique baisèrent les pieds du jeune homme qui se surprit à adorer ça, jalousant même le démon d’avoir autant de disciples.
Jamais il n’avait connu pareille sensation durant sa vie d’homme. Ce genre de manifestations étaient réservées aux artistes ou personnalités connues du grand public humain. Mais ici, tout pouvait changer si l’on se laissait envahir par ses pulsions. Et à ce moment, Adam reçut en guise de présent pour son allégeance aux ténèbres, un visage monstrueux, aux dents pointues et allongées.

-

- Adam Eugène Rodez… Un parent à toi ? demanda une jeune femme accrochée aux bras d’un homme à fière allure qui prit une grande inspiration avant de répondre.
- Mon père : il est mort lorsque je que n’étais qu’enfant… dit David.
L’homme se tenait devant une pauvre sépulture dont les visites ne furent pas légions à en juger l’état de dégradation avancée.
- Mais, pourquoi avoir attendu trente ans avant de revenir ici ? ajouta-t-elle.
- Tu sais Anna, quand ma mère m’a raconté toute notre histoire, j’en ai beaucoup voulu à mon père. Je me disais que tout était de sa faute et qu’il n’aurait jamais dû nous laisser…
La jeune femme serra son mari dans ses bras.
- Ma mère s’est battu de toutes ses forces contre les huissiers, les assistantes sociales qui cherchaient à nous séparer, et tous ces « prétendants » qui n’espéraient que… que…
- Chut… je sais, je sais… consola-t-elle cet homme qui se laissa aller à verser quelques larmes.
- Elle a toujours résisté, toujours. Elle lui a été fidèle jusqu’à la fin. Et finalement, je n’ai pas réussi à la sortir de là. C’est à cause de moi, si…
Anna prit le visage de David entre ses mains.
- Je ne veux pas que tu dises ça ! Ta mère est partie à cause d’un cancer… Une saloperie de cancer foudroyant et tu n’y es pour rien…
- Je sais mais… si j’avais pu l’emmener chez nous, quitter Londres pour le Michigan, je suis sur qu’il en aurait été autrement. Elle aurait passé ses jours à rire avec Roy et Sarah. Ils… ils n’ont pour ainsi dire jamais vu leur grand-mère. je ressens comme un vide en moi comme si je n’avais pas accompli quelque chose qui aurait dû l’être.
- Écoute, David. Tu auras beau ruminer, tu ne pourras rien y faire de toute façon. Je comprends que ce « pèlerinage » soit important pour toi, mais je veux qu’il t’aide à mieux accepter ton passé ! Pas à te faire culpabiliser encore plus, dit Anna à un David qui s’essuya les yeux à l’aide d’un petit mouchoir, et prit la main de sa femme avant de faire dos à la sépulture de son père.
- Tu as raison… j’aimerais retourner dans l’appartement qui m’a vu naître, s’il te plaît.
- Tout ce que tu veux, mon chéri. Tu as appelé John à l’agence pour le prévenir ?
- Oui, il m’a donné quatre jours pour tout faire. Il faudra penser à le remercier pour les billets d’avion. On organisera… je ne sais pas, un dîner ou autre chose pour lui et sa femme à notre retour, dit-il.
- Ne t’en fais pas je m’occuperai de tout… J’espère que tu me feras visiter Londres au moins, ajouta Anna dans un sourire chaleureux et réconfortant…
-

- Nous arrivons à présent dans les limbes, la nursery du Bas Monde, dit Moloch en dessinant de ses mains démoniaques les courbes d’un paysage marécageux, tandis que des pleurs assourdissants sortaient d’entre les arbres morts.
- D’où proviennent ces cris ? demanda Adam avec agacement alors qu’ils pénétraient dans la terre boueuse d’où s’échappaient des bulles de gaz nauséabond.
- Ce sont les pleurs des enfants non baptisés. Vois par toi-même comment Dieu laisse ses propres enfants à l’abandon pour ne pas avoir reçu le baptême des mains de l’un de ses nombreux usurpateurs, répondit Moloch en crachant un glaire noir et fumant au sol.
Tout autour d’eux, des enfants allant des morts juste nés aux plus éveillés, étaient plantés dans la boue à hauteur d’épaules et pleuraient à s’en arracher les cordes vocales.
Adam se rassura de ne voir, malgré de si nombreuses têtes, celle de son fils David. Il ignorait que sur terre, le temps s’était déjà écoulé par décennies.
Non, tout ce qui l’intriguait pour le moment était de savoir ce que faisaient ces femmes habillées de guenilles, à genoux devant les enfants.
- Elles leur donnent le sein. Mais rien ne sort et ils restent affamés pour l’éternité. C’est la punition qu’inflige le Créateur à celles qui n’ont pas réussi à protéger leurs enfants des dangers des humains.
Moloch s’approcha de l’une d’entre elles et la souleva par l’épaule avant de la jeter aux pieds d’Adam.
- Son histoire à elle va te plaire… siffla-t-il.
- Que me voulez-vous ? cria cette pauvre femme maigre et presque dévêtue.
- Je veux que tu racontes ton histoire, à ton fils, Marianne.
- Son/Mon fils ? s’unirent les voix de Marianne et d’Adam.
Marianne eut un mouvement de recul lorsqu’elle vit l’horrible visage grimaçant d’Adam.
- Ce monstre hideux n’a rien de commun avec mon bébé. Mon Adam n’est pas un démon, cracha-t-elle.
Mais alors que l’éclair d’un trop lointain souvenir vint frapper Adam, son visage reprit les formes d’un jeune homme, et tout en se penchant vers elle :
- Maman ? Vous… vous êtes…
- Adam ! Adam mon chéri ! Je te demande pardon mon fils, pardon pour tout ce que je t’ai fait… dit-elle, des sanglots dans la voix en laissant ses mains courir le long du visage de son fils.
- Que s’est-il passé maman ? Comment es-tu arrivée ici ?
- Je vais tout te dire. Tu as le droit de savoir. Essaie… de ne pas me juger trop sévèrement s’il te plaît.
La mère d’Adam se mit à genoux devant son fils et commença à conter l’histoire qui fut la sienne :
- Tu n’étais qu’un enfant lorsque ton père et moi nous sommes séparés. J’étais une jeune mère au foyer et ton père travaillait pour un grand groupe hôtelier. Son travail consistait à convaincre des gens à vendre des terrains destinés à accueillir les travaux de futurs projets. Depuis longtemps j’avais connaissance d’une liaisons qu’il avait avec sa secrétaire et je faisais comme si de rien n’était pour nous protéger toi et moi. Mais comme toutes les étoiles montantes, car il était le meilleur de sa branche, il en voulut plus toujours plus. Alors, il a séduit l’héritière de son employeur et du jour au lendemain, il avait disparu avec elle. Je n’avais pas les moyens d’engager des poursuites contre lui, et dans l’une de ces dernières lettres, il me promettait de ne pas me séparer de toi si je ne cherchais jamais à le revoir… Alors j’ai dû fuir. Fuir mes créanciers et tous ces gens qui me jugeaient par des mots ou des regards. Et je me suis dit que dans le sud, chez mon frère, nous serions plus tranquilles. Oh mon Dieu, si seulement j’avais su ce qu’il se passait quand je te laissais avec ce monstre…
Moloch n’en crut pas ses yeux, car de ceux de Marianne, semblaient couler de fines perles.
  • Impossible ! Grogna-t-il
Marianne, elle, poursuivit :
Et quand des voisins ont découvert ce qu’il se passait, ils ont imaginé que je te prostituais pour gagner de l’argent. On t’a enlevé à moi et on t’a confié à quelqu’un d’autre…
- Elle s’appelait Nany, maman. Et ne t’en fais pas, elle s’est très bien occupée de moi durant tout ce temps, répondit Adam.
Les fines perles se transformèrent en véritables grêles de larmes tandis qu’un halo de lumière blanche s’ouvrit au dessus de Marianne.
- Maman ? Mais… tu pleures ? Comment est-ce possible ? demanda Adam émerveillé.
- Il me pardonne mon fils. Il me pardonne car au fond de toi, tu m’as pardonnée aussi, répondit-elle en s’élevant du sol.
- Te reverrais-je ? dit-il en tendant la main.
- Ne les écoute pas Adam. Ils savent te montrer le faux et t’inspirer le doute, c’est à cause d’eux et seulement eux si tu es devenu un des leurs… finit-elle par dire avant de disparaître dans la pureté.
- N’écoute pas cette vielle folle Ad…
- FERME LA !
Le visage démoniaque d’Adam refit surface tandis que les deux démons croisèrent leurs poings dans un impact semblable à un coup de canon.
- Ne sois pas ingrat, regarde ce que nous venons de t’offrir !
La force d’Adam avait littéralement décuplé sans pour autant parer son corps d’une musculature aussi développée que celle de Moloch.
- Conduis-moi devant mon père, grogna-t-il.
- Et nous éloigner de Pandémonium, hors de question ! répondit Moloch avec toute la colère possible.
- Je ne te laisse pas le choix. Je suis devenu aussi fort que toi et il te sera moins facile de me traîner jusqu’à ton maître. Je ne suis pas sûr d’ailleurs que tu veuilles lui désobéir, je me trompe ?
Moloch gronda en guise de réponse.
- Parfait, à présent, nomme-moi… susurrât Adam.
- Que je te nomme ? Tu n’es pas encore digne d’être nommé, grogna le démon.
- Tu dois me nommer, je le mérite plus que n’importe qui… NOMME-MOI !
Le sol trembla, enfonçant les corps enfantins plus profondément dans la boue.
- Tu… tu es… BAAL ADAMA ! dit le démon d’une voix rauque et puissante.
- Maintenant, mène-moi près de mon père et je te fais la promesse de me laisser guider devant le Porteur de Lumière.
Moloch acquiesça d’un hurlement bestial, couchant tous les arbres du marécage de son terrible cri.

Pendu à un arbre, un homme hurlait de voir des mendiants faucher des épis d’or.
- Arrière misérables, arrière ! Ceci est à moi, TOUT est à moi.
De maigres démons pourvus de grandes lames en guise de bras arrachaient les épis pour conduire leur butin dans un four de pierre, afin de faire fondre le précieux métal.
- L'usage seulement fait la possession ! L'usage seulement fait la possession ! JE VOUS MAUDIS CHAROGNARDS !
- Que signifie tout ceci ? demanda Baal Adama.
- Il récite cette phrase inlassablement en espérant avoir la clémence des êtres d’en haut. Mais regarde le se tortiller dès qu’il aperçoit les faucheurs toucher à son or ! Il restera là pour l’éternité, répondit Moloch.
- Je te présente Jonas Alfred Rodez, ton père. Comte du Champ des Avaricieux.
La fureur domina les actes du démon qui s’avança jusque devant la potence de son père.
- Descends et raconte moi ton histoire vieil homme ! cria Baal Adama.
L’homme arrêta de gesticuler et regarda la grimace de l’entité qui semblait s’intéresser à lui.
- Ne vois-tu pas que je suis retenu, par le cou, d’une corde d’or ? Jamais nul temps nous sommes assis puis ça, puis la, comme le vent varie, à son plaisir sans cesse nous charrie…
- Cesse la poésie vieillard, je vais t’aider à descendre, l’interrompit soudainement le démon.
De ses mains griffues, il saisit Jonas par les pieds et tira sans qu’il fut nécessaire d’abuser de sa force car, sous le poids de l’attraction, la tête du vieil homme se désolidarisa du reste de son corps dans un claquement élastique.
- Comme tu le sais, tu ne peux pas mourir, dit-il en replaçant la tête de Jonas entre les épaules de son corps.
Puis, Jonas retomba à terre, secoué par les spasmes d’une quinte de toux sèche.
- ALLEZ VOUS EN MISÉRABLE ! hurlait Jonas qui, une fois relevé, courait après les faucheurs, fuyant avec autant de rapidité qu’une volée d’oiseaux.
Mais Baal Adama rattrapa l’homme par sa tignasse blanchâtre.
- Que me veux-tu démon ? demanda Jonas.
- Je veux que tu me racontes ta vie d’homme, répondit son fils.
Jonas mit un peu de temps avant de répondre tant il était surpris par la question. D’habitude lorsqu’il croisait des entités démoniaques, ils cherchaient plus à lui faire payer, par le biais de différentes tortures, ses péchés d’humain. Pendu à son arbre, il devait souvent se battre contre les charognards infernaux, bien décidés à se repaître de sa maigre chair. Mais jamais, au grand jamais, on ne lui demandait de raconter son histoire. Peut-être fallait-il être coopératif avec ce démon aux cheveux roux. Jonas espérait à la clef un sursit, puisque la rédemption semblait trop dur à atteindre.
Le vieil homme s’assit sur une racine sortant de terre :
- Je… je me suis marié avec une riche héritière il y a de cela…
- On en a rien à foutre de ça ! Tu te doutes bien que tu n’as pas atterri ici parce que tu as baisé avec une fille à papa ! Baal Adama se montrait extrêmement impatient.
- Parle-nous plutôt, de ton fils…
- M-mon f-fils ? bégaya le vieil homme, comme si l’image de son enfant surgissait d’outre tombe.
- Adam… murmura-t-il.
- Il est mort, ne prononce plus son nom, dit Baal Adama.
- Je… je ne vous crois pas ! cria Jonas.
- FERME-LA ET DIS-NOUS POURQUOI TU L’AS ABANDONNÉ ? hurla à présent le démon.
- Je ne vous permets pas ! Et d’ailleurs pourquoi cherchez vous à…
- Tu l’as abandonnée elle aussi… coupa une nouvelle fois le démon.
- Mais de qui parlez-vous bon sang… cherchait à comprendre Jonas.
- Tu n’as aucune idée de ce que nous avons enduré, tu n’as aucune idée de ce qu’il m’est arrivé à moi ! cria Baal Adama, son visage démoniaque collé à celui de son père.
- A… Adam ? Adam , mon fils, mais… Oh mon dieu, qu’ai-je fais de toi ? se lamentait le vieil homme.
Le démon traîna son père jusque vers le four.
- Tu… tu ne peux pas comprendre Adam. J’avais la capacité d’amasser des tonnes et des tonnes d’argent ! Je serai venu vous chercher, je vous aurai récupéré ! se débattait-il.
- Et tu aurais reconstruit le puzzle qu’était devenu nos âmes ? Tu aurais empêché que mon oncle me viole ?
Complètement paniqué, Jonas avait l’attitude d’un interné d’asile forcer de subir une expérience.
- Je ne savais pas , je… Adam attends, je vais réparer tout ça… je vais…
- Adam est mort, je suis Baal Adama !
Malgré les hurlements et les supplications, le démon plongea lentement le corps de son père dans la cuve d’or en fusion, avant de le ressortir aussi métamorphosé en une statut dont la meurtrissure resterait à jamais figée par l’alliage maintenant refroidie.
Baal Adama leva les mains au ciel et hurla :
- VOIS !!! VOIS TA CREATION SE VENGER DES MAUX QUE TA CONCEPTION DE LA VIE INFLIGE !!! VOIS, COMMENT JE REUSSIS, LA OU TU ECHOUES!!!
La voix déchirée de Baal Adama résonnait à travers les champs. Soudain, le sol se déroba sous ses pieds et le démon fut comme aspiré partiellement dans un vortex.
- Qu’est-ce qui se passe, Moloch ? Qu’est-ce qui m’arrive ? paniqua le démon.
- Tu es appelé ! répondit-il envieux.
- Appelé ? Mais par qui ? demanda-t-il, cherchant à s’agripper en vain à quelque chose.
- Tu le sauras une fois là-bas. Ce genre de chose n’arrive qu’une fois toutes les…
Mais Moloch ne put finir sa phrase que Baal Adama fut envahi par le tourbillon, entièrement avalé.

Le passage du Monde d’en bas vers l’extérieur ne fut pas sans mal pour le démon. Le voyage semblait le déchirer alors qu’il ressentait ce que pouvait subir un condamné à l’écartèlement. Ses membres s’allongeaient sans pour autant se rompre et quelques secondes plus tard qui lui parurent une éternité, Baal Adama se retrouva flottant dans l'air d’une pièce éclairée à la bougie.
En dessous de lui, un jeune garçon était agenouillé devant une planchette de bois sur laquelle était dessinée tout un tas de lettres et de chiffres.
- Roy, que fais-tu dans la cave ? le petit garçon sursauta et répondit d’une voix enfantine :
- J’arrive maman ! dit-il en soufflant sur la flamme de la bougie pour l’éteindre, laissant son matériel en place.
Quelque chose cependant troublait le démon. Les voix qu’il entendait ne parlaient pas sa langue, mais il comprenait absolument tout sans pouvoir l’expliquer.
- Suivre le garçon… se dit-il.
Rien n’y faisait, il était bloqué là, comme prisonnier d’une force magnétique.
Bien qu’il devint un être démoniaque, il était condamné sur le plan terrestre à vivre au rythme linéaire du temps.
Il dut donc attendre trois jours avant que le jeune garçon ne se décide à revenir jouer avec sa planchette…
Installé comme auparavant à la lueur d’une bougie, Roy s’installa face au rectangle de bois et recommença son rituel.
- Je cherche à entrer en contact avec mon grand-père. Grand-père es-tu là ? demanda le garçon à mi voix.
Baal Adama regardait la scène de haut avec un intérêt particulier pour l’objet sur lequel Roy avait placé ses doigts. De sa main griffue qu’il posa également sur la goutte, il tentait de faire dévier celle-ci sur le « oui » gravé dans le bois, sans grande conviction.
Mais la surprise toucha autant l’enfant que le démon, puisque le triangle de bois glissa jusqu’à son objectif.
- J’ai réussi ! J’AI REUSSI ! hurla l’enfant en courant hors de la pièce tandis que le démon lui sommait de revenir d’une voix ténébreuse, pourtant imperceptible pour le garçonnet.

Baal Adama avait pu compter trois voix différentes dans cette maison. Une voix de femme, celle du petit Roy et une voix de petite fille. À ce moment, il pouvait entendre une conversation entre le jeune garçon et sa mère :
- J’ai réussi maman, je suis entré en contact avec l’au-delà !
- Roy, combien de fois t’ai-je dis de ne pas jouer avec ce truc là, ce dija…
- Ouija, maman. C’est une table de Ouija, répondit-il l’air un peu déçu par la réaction de sa mère.
- Ne le prends pas mal, s'en voulut-elle, mais les esprits ne communiquent pas avec des planches en bois, Roy.
- Mais j’y arrive je te dis, essaya-t-il de s’expliquer.
- Allez ça suffit Roy, vas me ranger ce truc sinon je le dirais à ton père lorsqu’il sera rentré de voyage, finit-elle par dire, agacée.
- Il rentre quand papa ? dit à présent la voix de la petite fille.
- Une semaine, peut-être deux. Mais ne vous inquiétez pas, il a promis de prendre des vacances après ça, répondit leur mère avant de poursuivre sur un tout autre sujet. Mary viendra vous garder ce soir, j’ai un dîner d’affaire que je ne peux pas rater, ajouta-t-elle sous les lamentations des enfants.
- Non, pas Mary !! Elle passe son temps au téléphone et ne s’occupe pas de nous ! Je peux me débrouiller seul, dit Roy.
- Je n’en doute pas jeune homme, mais je ne veux pas vous savoir seuls dans cette maison. Sa présence me réconforte, argumenta très justement la jeune maman qui ne put s’empêcher de sourire lorsque son fils tourna les talons en soufflant, pour ensuite prendre la direction de sa chambre.

Baal Adama grondait en lui même de ne pouvoir sortir d’ici, tournant sans cesse en rond, guettant toutes les occasions possibles de faire évoluer son état d’incarcération.
Occasion qui se présenta la nuit même…
- Allez viens quoi. Tu as peur ?
- Je n’ai pas peur, mais ma mère à dit que…
- Tu fais toujours ce que ta mère te dis, toi ? pfff, je m’en doutais.
- N’importe quoi ! Bon ok, on descend.
Deux voix résonnaient devant la porte de la cave. Il y avait bien entendu celle de Roy, mais la deuxième était celle d’une adolescente dont le démon ignorait jusqu’alors l’existence.
- Tu m’avais caché que tu en avais une ! Et tu dis que tu sais la faire marcher ? demanda Mary avec une curiosité non dissimulée dans la voix.
- Ce n’est pas moi qui la fait marcher, c’est l’esprit. Roy alluma une demi douzaine de bougies dont il entoura les côtés de la tablette.
- Installe-toi et prends ça.
Le jeune garçon tendit un calepin de feuilles blanches ainsi qu’un crayon
- Ça te servira à noter les lettres qu’il désignera, dit-il.
Roy s’éclaircit la voix, la séance pouvait commencer…
- Esprit, es-tu là ? Je cherche à entrer en contact avec l’esprit de mon grand-père. Es-tu là ?
Mary se mit à ricaner.
- Ne rigole pas, sinon il ne viendra jamais, murmura le jeune garçon, vexé du peu de sérieux que pouvait avoir la baby-sitter.
- Mais pourquoi ton grand-père ? Tu ne peux pas plutôt appeler… je ne sais pas moi, Kurt Cobain ou Jim Morrison ? répondit elle.
- Reste concentrée, s’il te plaît. Grand-père, es-tu là ?
Et Baal Adama, de la même manière que quelques heures auparavant guida la goutte de bois vers le « oui ».
- Ça marche ! s’étonna Mary.
- Si tu es mon grand père, tu dois connaître mon prénom. Quel est-il ?
- R-O-Y… C’est pas possible, c’est toi qui bouges le truc en réalité, pouffa Mary, incrédule.
- Non, je te le promets. Tu veux essayer ?
Mary prit la place du jeune garçon, ce qui déplut fortement au démon qui ne ressentait pas la même attraction que pour Roy. Comme si le petit était plus réceptif.
- Esprit, es-tu toujours avec nous ?
La goutte se dirigea violemment sur le « oui ».
- Wahou, on dirait que ça marche mieux pour moi que pour toi ! dit-elle en direction de Roy avant de reprendre.
- Alors esprit, combien aurais-je d’enfants ? demanda Mary.
- Zero ! Hum dur, souriait Roy lorsque la goutte s’arrêta sur le dit chiffre.
- Tais-toi, petit merdeux. Et pourquoi n’en aurais-je pas ? ajouta-t-elle en levant la voix.
- S-T-E-R-I-L-E… Qu’est-ce que ça veux dire ? demanda le garçon.
- Ça veut dire que ton jeu c’est de la merde. Allez on se casse, répondit-elle furieusement alors que Roy reprit ça place et qu’elle se dirigeait vers les marches.
- Amène-toi Roy, m’oblige pas à venir te tirer.
Roy était debout, tête baissée et bras ballants. Mary quant à elle, fit demi-tour pour venir prendre le garçon par le bras. Et alors qu’elle s’apprêtait à saisir sa petite victime, le visage de celui-ci se redressa vivement et serra le poignet de la jeune fille.
- LA SEULE CHOSE QUE TU TIRERAS SERA MA QUEUE POUR TE LA COLLER AU FOND DE LA GORGE SALOPE !
La voix de Roy devint grave et rauque tandis que son visage de chérubin avait laissé place à la grimace hideuse du démon.

-

- Madame, restez ici s’il vous plaît !
- C’est chez moi, ce sont mes enfants ! Que s’est-il passé ?
- C’est bon Jimmy, laisse la passer…cria un petit homme chauve vêtu d’un imperméable, à l’agent de police qui empêchait Anna de rentrer chez elle.
- Inspecteur Troy, dit-il en présentant un badge de police. Vous dites être la mère des enfants ?
- Oui, où sont-ils ? Que leur est-il arrivé ? questionna-t-elle tremblante de panique.
- Eux rien, mais, suivez-moi.
Il conduisit Anna à l’arrière d’une ambulance.
- Vous connaissez cette personne ? demanda-t-il.
L’horreur se lisait dans les yeux de la jeune femme.
- Oh mon dieu ! Elle est…
- Non, elle est en état de choc avancé. Bon alors, qui est-elle ?
- C’est… c’est Mary ma… ma baby-sitter. Où sont mes enfants, je veux les voir ! cria-t-elle dès qu’elle vit le visage pétrifié de l’adolescente.
- Elle nous a appelé paniquée. On a vraiment eu du mal pour… mais l’inspecteur fut coupé par une voix tremblante.
- Il… il avait les yeux rouges et… des…des traits noirs sur le visage et…
- Calme-toi petite, calme-toi, dit une ambulancière en s’approchant de Mary pour lui tenir la main et lui caresser les cheveux.

L’inspecteur Troy accompagna Anna à l’intérieur de sa maison ,tout en cherchant quelques éléments qui lui permettraient d’avancer. Quelques questions, notamment si la description du personnage qu’avait fait la victime lui disait quelque chose. Si elle était sûre que personne d’autre ne pouvait entrer dans la maison, ou encore si elle avait un soupçon sur son fils, retrouvé assis dans la cave faisant un mouvement perpétuel de balancier.
Seulement, Anna n’avait de cesse de vouloir serrer ses enfants dans ses bras, si bien que toutes les réponses aux questions de Troy se soldaient par un non catégorique.
Les forces de police restèrent encore quelques heures en compagnie de la famille. L’inspecteur décida de laisser une voiture à l’entrée de la maison, au cas où l’individu chercherait à revenir.

Pour Baal Adama, les choses avaient changé. Il avait senti le bon moment pour entrer dans le corps du jeune garçon et envoyer la traînée qui servait de nourrice pour un aller simple en psychiatrie. Cependant, il ne pouvait pénétrer dans ce jeune corps que lorsqu’une forte émotion permettait à l’esprit du garçon de s’ouvrir et d’accueillir son visiteur. Il y était malgré tout attaché, flottant au dessus de lui, satisfait de ce semblant de liberté.
Le lendemain les enfants retournèrent à l’école, cachant l’incident de la veille aux curieux qui avaient assisté au ballet des voitures de police et ambulances.
- Ce n’est qu’une droguée qui a fait une overdose et qui nous cause maintenant des
soucis ! Anna aurait souhaité trouver mieux, mais aucune autre explication n’aurait pu faire taire les ragots.
Dans le fond de la vaste cour de l’école, Roy était assis sur un banc, seul, comme à son habitude. Jusqu’à ce que :
- Alors Roy, tu nous as apporté notre argent de poche ? demanda un garçon plus âgé et bien plus carré que le chétif garçonnet.
- Je n’ai pas d’argent, répondit sombrement Roy, alors que deux autres garçons prirent place à ses cotés.
- Hey c’est pas sympa ça, petit ! Comment veux-tu que l’on paye notre déjeuner ? demanda l’un d’entre eux.
- C’est vrai ça ! Et bien sur, tu as fait le devoir de mathématiques que je t’ai donné la semaine dernière ? ajouta l’un d’eux.
Mais Roy paraissait ne pas être là. La présence de Baal Adama influait beaucoup sur le comportement de l'enfant. Bien que d’un naturel solitaire, il arrivait néanmoins à garder le sourire tous les jours, et ce même face aux épreuves que pouvaient lui infliger les autres élèves dissipés de son école.
Bud se leva et s’accroupit devant le jeune garçon, sortant un petit canif dont il libéra la lame pour la coller contre la joue de sa petite victime.
- J’crois que t’as pas compris… il n’y a personne ici, les surveillants ne viennent pas, et les élèves non plus. Y’a que toi. Alors si l’envie me prenait de te dessiner un joli sourire sur ta gueule de con, qu’est-ce qui m’en empêcherait ? Peut-être que comme ça tu obéiras gentiment la prochaine fois ? dit le garçon tout en enfonçant légèrement la lame dans la chair de Roy.
- Exactement, mec ! Puis on aimerait bien savoir ce qui s’est réellement passé pour Mary… ricana le camarade du bourreau de Roy.
- Je vais commencer par un petit sillon vertical, dit Bud en taillant la joue du jeune garçon qui ne put s’empêcher de verser une larme, tandis que les deux acolytes lui tenaient bras et visage, pour l'empêcher de s'évader.
- Merde ! C’est quoi ça ! Bud se releva d’un bond.
- Allez Bud, finis ton boulot ! Si quelqu’un nous voit on sera dans la merde !
- Ouais Bud… Magne-toi… ricana à présent Roy dont la voix devint subitement plus grave.
- Regardez ses yeux ! cria le tortionnaire.
Baal Adama ne voulait pas intervenir, s’amusant de la situation vu d’en haut. Mais lorsqu’il sentit que la lame pénétrait également sa joue sans qu’il puisse en expliquer le pourquoi, il fut pris d’un instinct de sauvegarde sauvage.
Lorsque Roy leva la tête, le visage du démon se mêla au sien, terrorisant les trois ados. Dans un cri de rage, Baal Adama se saisit de ses deux geôliers :
- NE TOUCHEZ PAS !
Puis les jeta comme de vulgaires poupées de chiffon sur Bud qui s’écroula quelques mètres plus loin.
Le choc fut si violent que plus tard, à l’hôpital, on diagnostiquera une fracture complète des os faciaux de Bud, remettant à jamais en cause sa popularité auprès des filles. Les deux autres garçons, eux, avaient chacun un grave traumatisme crânien qui selon les médecins laisserait de lourdes séquelles sur leur mémoire et leur motricité.

- Non mais… comprenez-moi madame… Roy est désolé de ce qu’il s’est passé et… Oui ? Oui , bien sur mais… mon fils n’est pas malade, madame… Enfin merde vous le savez comme moi, Roy est un enfant introverti et je doute qu'avec sa carrure il ait pu faire ça tout seul… Vous dites ? Les parents des jeunes gens ? Ne me faites pas rire voyons !!! Est-ce que les parents savent que leurs rejetons rackettaient mon fils depuis plusieurs semaines ??? Et vous, où étiez vous à ce moment là ??? Écoutez madame, mon mari doit rentrer dans moins d’une semaine, nous verrons ça avec lui. En attendant je retire mon fils de votre école… C’est ça, je ne vous salue pas non plus…
Anna rejeta violemment son portable à travers le salon en hurlant que la directrice de l’école n’était qu’une connasse…

-

Trois jours s’étaient écoulés depuis l’incident et des phénomènes étranges entouraient Roy. Baal Adama s’amusait à griffer les murs lorsque le jeune homme marchait, si bien que d’incessants grattements émanaient de la maison. Afin de rendre sa victime plus vulnérable, le démon aimait prendre possession de l’image du jeune garçon qui se reflétait dans le miroir, et lui faire de prendre des grimaces démoniaques. Mais ce dont Baal Adama raffolait le plus, était de changer la personnalité du jeune homme si calme fut-elle, hurlant çà et là des obscénités…

« Les scientifiques Islandais avaient depuis longtemps prévu l’éruption d’Hekla, mais personne n’aurait pu prédire que le vent soufflerait les cendres du volcan en direction de l’Europe, ce qui paralyse actuellement le trafic aérien, en particulier pour les aéroport de Londres, où des dizaines d’avions resteront une fois de plus cloués aux sol… »

- Oui, je viens de voir un flash aux infos… je sais que tu n’y ais pour rien mais… Il s’agit de Roy, il… il ne va pas très bien et je pense qu’il va bientôt avoir besoin de toi, dit Anna au téléphone.
- John dit qu’il ne faut pas regarder aux dépenses et que tu dois l’emmener dans le meilleur hôpital que tu pourras trouver. Il fera passer la note en frais de fonctionnement, répondit David.
- Je ne sais plus quoi faire chéri. Il… son comportement change ! Il ne fait que des cauchemars, parle d’un visage horrible qui le regarde dans les miroirs et devient violent… Hier encore il… il m’a mordue jusqu’au sang avant de se…
Mais Anna éclata en sanglots avant de finir sa phrase.
- Écoute, n’attends pas un instant de plus et surtout tiens-moi au courant de toutes les évolutions…
- J’ai peur mon amour, j’ai si peur, dit-elle.
- Je prendrai le premier avion dès qu’il y aura de l’amélioration. John a fait de gros investissements en Angleterre, on aura de quoi vivre tranquille pour quelques mois après ça.
- Je t’aime David… ajouta Anna en refermant le clapet de son portable, tremblante de peur.

Elle ne s’étonnait plus d’avoir les mains moites en permanence tant la terreur s’était emparée d’elle. Anna ne pouvait plus dormir dans cette maison sans la présence de ses propres parents pour la soutenir, et protéger la petite Sarah des agressions quotidiennes de son frère. Les meubles bougeaient tout seul et il n’était pas rare d’entendre des choses se briser dans la maison sans qu’aucun débris de matière ne soit trouvé…
La nuit, Roy semblait se défendre contre un ennemi invisible, ses membres adoptant des positions contraires à la nature comme si il n’était qu’un vulgaire jouet de caoutchouc. À cela s’ajoutait la curiosité des voisins qui ne manquaient aucune occasion d’espionner la demeure dès qu’un événement s’échappait des murs ( car tous entendaient les cris et voyaient à la nuit tombée d’étranges ombres planer dans la chambre du garçon ).
Faire ses courses s’avérait pour, la jeune femme, être tout aussi compliqué que de rester dans sa maison, car il lui fallait alors affronter le questionnement de l’inspecteur Troy, persuadé que le jeune homme était en réalité le chef d’une troupe de délinquants qui semait le désordre dans son entourage. Puis il y avait les commérages, les histoires inventées par les grand-mères en manque de sensations fortes, et les inquisiteurs du dimanche qui ne juraient plus que part l’exclusion de la famille de la ville et l’incendie « purificateur » de la maison du diable.
Tous les médecins du coin étaient venus au moins une fois au chevet de Roy, sans qu’aucun d’entre eux n’omettent de parler d’un éventuel cas psychiatrique.
Il ne restait à Anna que la solution de l’internement, qui survint une nuit où Baal Adama se reposait de ses méfaits.

- Nous avons pratiqué tous les tests nécessaires des jours durant, et je dois vous avouer madame qu’il s’agit pour nous d’un cas hors du commun. Il semble être atteint de… démence et… dit un homme habillé d’une blouse blanche avant d’être coupé par Anna.
Vous insinuez que mon fils est devenu fou ? s’offusqua-t-elle.
La maigreur de son corps était le témoin de l’épreuve qui lui était envoyés.
- Je n’insinue rien madame, mais comprenez-moi. Les tests ont démontré que…
- FOUS-LES TOI AU CUL TES TESTS ! hurlait à présent la voix démoniaque provenant de la pièce d’à coté.
Le médecin et Anna sursautèrent au son d’un cri puissant émanant de la chambre du jeune garçon.
- Je vous prie de croire que nous avons fait tout ce que nous pouvions, mais vous êtes ici dans un hôpital public. Le meilleur conseil que je puisse vous donner reste de le conduire dans un établissement psychiatrique et de…
- Attendez docteur, vous voulez me dire qu’en fait vous… vous renoncez ? demanda Anna.
- Ce que je veux vous dire madame, c’est que les autres patients ont peur, le personnel a peur, dit-il en insistant sur ce dernier mot.
- Il a littéralement défiguré l’un de nos aide-soignants qui venait lui administrer un tranquillisant et…
- TON PERE EST UN ENCULEUR DE PORCS ET TU LE SAIS MARVIN ! TOUS LES SOIRS A LA FERME, TES ETUDES N’ONT PAS REUSSI A LE SAUVER D’ALZHEIMER ! LE SCANDALE DANS LE VOISINAGE MARVIN !
- LA FERME !!!
Les cris du démon devinaient la vérité comme à chaque fois qu’il s’amusait à lire en ses victimes. Ce fut donc au tour du médecin de hurler, complètement déstabilisé par les révélations d'un gamin qui ne pouvait pas connaître l'histoire de son père.
- Je vais appeler des confrères, vous n’aurez que vingt-quatre heures pour le préparer…
Dans le couloir, Anna s’assit sur une chaise, abattue par le désespoir.
- FAITES-LE SORTIR ! FAITES SORTIR LE MENTEUR ! hurlait à présent Baal Adama
Et tandis que la mère de Roy essayait de comprendre le sens des paroles vomies par ce qui n’était plus son fils depuis près d’un mois, un homme apparut devant elle.
- Madame Rodez ? dit-il à Anna qui leva la tête.
- Bonjour madame, je suis le père Browden…
- Vous venez recueillir les dernières volontés de Roy avant de le conduire sur l’échafaud ? demanda Anna d’un air faussement ironique, rongée en elle par l’agacement.
- Ses dernières volontés ? Grand Dieu non, dit-il en s’asseyant à coté de la jeune femme. Vous savez, je suis le prêtre de la paroisse de notre ville et je dois vous avouer que votre visage ne m’est pas vraiment familier, poursuivit-il en souriant paisiblement.
Il y avait bien longtemps que personne n’avait sourit à Anna et elle prit celui-ci comme un prompt réconfort.
- Beaucoup de gens sont venus me raconter votre histoire au sein de mon église. Et, vous savez également que le secret de la confession m’interdit de vous dévoiler ce qu’il m’a été dit…
- Ne vous fatiguez pas mon père… répondit-elle en se remémorant tous les racontars et autres insultes.
- Me permettez vous de voir Roy, un petit instant ? demanda-t-il.
- Tant que vous le pouvez mon père. Demain, ils m’obligeront à le sortir d’ici pour… pour… mais Anna éclata en sanglot.
- Rien n’en est moins sur… ajouta le père Browden en passant sa main sur l’épaule d’Anna, qui se leva également.
- Non, restez assise madame. Je veux y aller seul, dit l’homme d’église avant d’entrer dans la chambre.

Durant toute une période, les paroissiens venaient nombreux dans l’église du père Browden qui n’arrivait plus à faire une messe dans le silence tant les conversations, toujours alimentées par le fictionnel, allaient bon train.
Combien de fois le prêtre avait pu demander le silence lorsqu’il officiait ? Il l’ignorait. Des secrets inavouables semblaient pourtant s’échapper entre les murs même de la maison du Seigneur.
Jusqu’au jour où un homme, l’inspecteur Troy, lui rendit visite pour lui raconter ce qu’il se tramait actuellement au sein de la ville. Le comportement changeant de Roy ainsi que les histoires toutes plus surnaturelles les unes que les autres qui gravitaient autour de lui. Il avait de forts soupçons sur l’implication direct du jeune homme dans ces étranges affaires d’agressions et questionnait inlassablement le père Browden sur ce que pouvaient savoir ses paroissiens. Cependant, soumis au secret de la confession, le prêtre jamais ne divulgua mot. Enquêtant seul de son coté, le père Browden savait qu’il n’y aurait qu’un seul moyen de vérifier ses craintes.

Lorsqu’il entra dans la chambre de Roy, le père eut la certitude que toutes les théories que lui avait déballé l’inspecteur n’étaient qu’affabulation, car le mal ( et il en était sur à présent ) venait d’ailleurs.
- Bonjour Roy… dit le prêtre devant un garçon dont les mains étaient liées à son lit.
Les sangles qui maintenaient ses pieds étaient arrachées, et le jeune homme se tenait en équilibre en forme de croix inversée contre le mur derrière la tête de lit.
- C’est tout ce que j’ai trouvé pour accueillir le représentant du fils d’assassin… Qu’en penses-tu ? demanda le garçon avec sa voix grave, devenue habituelle depuis quelques temps.
- Je pense que tu devrais me raconter ce qu’il se passe en toi, Roy.
- Ne m’appelle pas Roy ! Je suis celui qui a défait l’institution divine, celui qui a défié ton Créateur !
- Alors qui es-tu ?
L’enfant retomba lentement sur son lit et Baal Adama se tut.
- Nomme-toi… insista le prêtre avec un sourire.
Et toujours ce silence.
- C’est bien ce que je pensais, répondit finalement le père Browden avant de se diriger vers la porte.
Puis soudain :
- In Nomine Dei Luciferi Excels, Ave Voluptatis Carnis !!! snoigel qnic-etnert ednammoc ej srefne sed siuqra , reficuL ed éyiovne’l sius ej… BAAL ADAMA !!! dit le démon avant de hurler à en faire trembler les murs.
Le père Browden sortit de la chambre, affaiblit au fond de lui par ce si court entretien, sous le regard pétrifié de toutes les personnes se trouvant dans le couloir.

-

Éreinté par un long voyage, un homme sortit du taxi qui le conduisit devant sa maison.
- Gardez la monnaie, dit-il au chauffeur boudant devant les quelques piécettes que lui laissait son client.
La devanture de la maison de David ne ressemblait pas à ce qu’il avait laissé il y a un peu plus d’un mois de cela. Les fleurs que son épouse avait pour habitude de bichonner se fanaient dans leur pot. Il y avait bien longtemps qu’aucun entretien n’avait été fait sur le parvis, laissant autant de cadavres de feuilles que si un arbre entier s’était dénudé à même le sol. La vie avait presque abandonnée la maison.
« Je devrais peut-être leur faire la surprise en passant par derrière » pensa-t-il.
Mais, tandis qu’un hurlement bestial sortit des murs de la maison, David franchit le seuil de l’entrée au pas de course.
- Chéri ! cria Anna en se précipitant sur son mari, le serrant si fort que son souffle en fut coupé.
- Qu’est-ce qui se passe ici ? Il y a quelqu’un dans la chambre de Roy ? demanda David, alors qu’il repoussait sa femme pour grimper les marches qui menaient à la chambre de son fils.
Mais alors qu’Anna cherchait à le retenir, un grand homme d’âge avancé descendit les marches, épuisé, transpirant à grosses gouttes.
- Il s’est calmé… il s’est calmé… dit-il en bousculant légèrement David, tout en s’asseyant au bas des marches.
- Venez mon père, venez… dit Anna qui, à l’aide de ses parents souleva le prêtre pour le poser sur l’un des canapés du salon.
- Bordel de merde c’est quoi ça ? Quelqu’un va-t-il m’expliquer pourquoi un prêtre vient de sortir de la chambre de Roy ? s’énerva David, dont le périple avait un peu trop sollicité ses nerfs.
- Asseyez-vous David… dit calmement Marta, la mère de son épouse avant que celle-ci n’entame les explications, aidée du père Browden qui conclut cette longue histoire par :
- Et donc grâce à mes relations et quelques services dus, j’ai pu obtenir le droit de ramener votre fils chez vous afin que je procède au rituel d’exorcisme.
- C’est… insensé ! Comment pouvez-vous prétendre passer au dessus des médecins et venir…
- BOUFFE-LA SALE PORC, BOUFFE-LA !!! David fut interrompu par la même voix qui, auparavant, l’obligea à débouler comme un dératé à l’intérieur de sa propre maison.
- Ça recommence, venez ! cria le père Browden suivi de près par David.
- Nom de Dieu… David ne put s’empêcher de blasphémer quand il ouvrit la porte du jeune garçon, tant le tableau qui s’offrait à lui suintait d’horreur.
Roy était sur le dos, maintenu au sol par une force invisible qui le pliait littéralement en deux, l’obligeant à enfoncer sa propre verge dans sa bouche pour hurler d’une voix étouffée :
- T’AIME PETIT PORC, AVOUE QUE T’AIMES ÇA !
Les deux hommes sautèrent sur le possédé, et après avoir réussi à immobiliser le démon sur le lit de Roy, l’exorcisme reprit.

Le rituel dura non moins de six heures, durant lesquelles le prêtre combattait avec ardeur le démon présent dans le corps du garçon. Les meubles de la chambre fonçaient droit vers les deux hommes qui ne relâchèrent aucunement leur concentration.
- Je peux voir dans l’avenir Browden, tu nous rejoindras en bas d’ici neuf ans… SALOPE ! dit Baal Adama au prêtre qui ne faiblissait pas.
Le père Browden proféra les litanies des Saints et poursuivit :
- Ne vous souvenez pas, Seigneur, de nos fautes ni celles de nos pères. Ne nous tenez pas rigueur de nos péchés.
Et après avoir récité le Notre Père, continua :
- Ô Dieu, par ton nom sauve ton serviteur et par ta vérité rends nous justice Seigneur, exauce ma prière, prête l’oreille aux paroles de… Votre nom complet ? murmura-t-il à David qui répondit aussitôt.
- Prête l’oreille aux paroles de David Adam Rodez…
À ces mots, le démon étendit le corps de Roy de tout son long, et le plongea dans une sorte de sommeil.
Baal Adama laissa place en son moi intérieur à Adam Rodez. Lorsque le prêtre prononça entièrement le nom du père du gamin, il n’avait plus aucun doute sur l’identité de ses victimes, car depuis plus d’un mois, Adam torturait son propre petit fils. Il décida de relâcher l’emprise qu’il avait sur le corps du garçon et, lorsqu’il plana au dessus de la chambre, ne put s’empêcher de regarder paisiblement le visage de son enfant ayant maintenant bien grandi.
Un coup de canon retentit au sein de la maison et tous se ruèrent dans la chambre de Roy, lequel se tenait assis au bord de son lit…
- Papa ? Tu es revenu !
Et bien que les questions fusèrent en tous sens, Roy niera avoir de souvenirs du dernier mois qui venait de s’écouler – et ce jusqu’à ce que sa vie s’éteigne, bien des années plus tard.

-

Baal Adama retombait sur le sol d’un bordel démoniaque, du moins à en juger par la scène qui se déroulait devant lui.
Posté en hauteur sur un trône vomissant le sang par les accoudoirs, un homme au visage tinté de nuances rougeâtres vêtu d’une longue robe de cérémonie, conversait avec une tête d’homme planté au bout d’une pic.La tête tirait une langue de serpent chaque fois qu’elle ouvrait la bouche.
Le long des marches menant au trône, se tenait plusieurs petits démons rieurs qui torturaient çà et là leurs victimes humaines que l’homme aux petites cornes leur jetait par poignée, comme l’on jette des cacahuètes aux singes d’un zoo.
Sur le côté de la pièce se tenait une créature portant un masque humain surmonté d’une coiffe papale sur laquelle était dessinée une croix inversée qui donnait une version orgiaque et désordonnée de la messe catholique. Le sexe, le péché et la mort semblaient contrôler la salle qui tanguait et tanguait encore lorsque Baal Adama fixait son regard à divers endroits.
- Bienvenue dans le cœur de Pandémonium ! dit une voix familière.
- Moloch ? répondit Baal Adama, remarquant que le démon marchait sur des humains dénudés. Je vois que tu as ramené tes troupes… ajouta-t-il moqueur.
Mais Moloch semblait ne pas vouloir partager sa joie, visiblement impressionné de se retrouver en ce lieux.
- Ce ne sont pas les miens, ce sont ceux du Maître !
Baal Adama regarda alors le sol qu’il foulait de ses pieds griffus et comprit d’où venait cette sensation de vertige. Des centaines… des milliers de corps aux lamentations assourdissantes formaient le sol de la salle que les invités piétinaient avec délice.
- C’est lui, le Porteur de Lumière ? demanda le démon.
- Tu te trouves devant le maître des révoltés, l’archange rebelle, le tentateur libre et solitaire… le premier, le grand Lucifer… dit alors Moloch en s’inclinant devant ce prince.
- Il a vu ce que tu as fait sur terre, nous avons tous vu… ajouta-t-il.
- QUE LE DEMON QUI A POSSEDE L’ENFANT S’AVANCE ET SE PRESENTE DEVANT MOI ! dit alors une voix.
Sa particularité était d’être à la fois celle d’hommes, de femmes, d’enfants, de tous âges, le tout formant un seul et même son.
Moloch poussa le démon en murmurant :
- Surtout incline-toi arrivé en haut.
Ce qu’il fit, impressionné par ce qui s’avérait être un monstre à la taille gigantesque.
- Je suis Baal Adama, démon majeur, commandant de trente-cinq légions…
- PLUS MAINTENANT FILS ! JE T’OFFRE LE POUVOIR DE COMMANDER LE DOUBLE DE TES EFFECTIFS ET DE PRESIDER AVEC MOI LA REVOLTE CONTRE LA SAINTE TRINITE…
L’envie pouvait se lire sur les visages de toute l’assemblée. Si les forces démoniaques parvenaient à obtenir la chute des Saints, le chaos régnerait dans les deux royaumes aux dessus de Lucifer, et être à ses cotés assurait un « après » confortable.
- Il n’est pas digne de confiance maître ! Il a relâché son emprise sur le garçon parce qu’il a reconnu son passé à travers eux… siffla la tête empalée aux cotés de l’ange noir.
- SILENCE AZAZEL !!! GRACE A CE QU’IL A FAIT, LE MONDE DU MILIEU SAIT A PRESENT PLUS QUE JAMAIS QUE NOUS EXISTONS… ON EN A FAIT DES ECRITS PAR CENTAINES, ON L’A RACONTE EN MUSIQUE ET ON NOUS PROJETTE SUR DES ECRANS. L’HISTOIRE DE BAAL ADAMA LAISSERA DES TRACES INDELEBILES SUR LE MONDE CORRUPTIBLE DU CREATEUR. NOTRE AVENEMENT EST A SON APOGEE ET CELA A DEJA COMMENCE…

Baal Adama ne voulut pas d’un tel « honneur » en réalité. Quelque chose en lui était revenu de nulle part lorsque dans le monde humain il avait vu son fils. Le simple fait d’avoir torturé les siens le laissa perplexe sur ses futurs plans au sein de l’armée du Diable. Mais quoi qu’il puisse en penser, il était de toute façon déjà trop tard…

« Mesdames, Messieurs, bonsoir. Tout de suite les titres de ce journal du 5 Octobre.
L’ouragan qui devait longer la côte Est des États-Unis a finalement dévié de sa trajectoire pour finalement frapper les terres de plein fouet, on dénombre plusieurs personnes disparues, des centaines de blessés et au moins une dizaine de morts.
Toujours au États-Unis, dans un petit quartier du Michigan, les habitants pris de folie auraient volontairement incendié une maison qu’ils baptisaient, je cite : « la maison du diable » après qu’elle eut été quittée par ses propriétaires.
Nous reviendrons ce soir sur cette horrible affaire qui secoue actuellement l’Irlande où un forcené de confession protestante s’est fait exploser dans une école privée catholique. Les familles des victimes parlent à présent d’une guerre civile ouverte.
Puis retour dans notre pays où une nouvelle nuit d’émeutes a éclaté, opposant les habitants d’un quartier populaire aux forces de l’ordre mis une nouvelle fois en difficulté face au nombre toujours grandissant des émeutiers faisant du bilan de cette nuit un très lourd constat : de nombreuses vitrines de grands magasins ont été pillées, plusieurs incendies se sont déclarés aux quatre coins de la ville et des vandales n’ont pas hésité à s’introduire chez des particuliers, semant le chaos au sein des maisons du quartier voisin… »

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